Tête d’affiche de l’émission « la vérité en face » sur les antennes d’Equinoxe télévision le 10 janvier dernier, le chef supérieur Bamendjou s’est longuement exprimé sur le conflit en zone anglophone, les luttes d’indépendance et le processus démocratique biaisé, tenant pour responsables le régime de Yaoundé. Equinoxe Tv a certainement vu son taux d’audience grimper de plus belle, lorsqu’il a choisi comme invité de l’émission dominical « la Vérité en face », S.M Jean Rameau Sokoudjou. Grâce à sa liberté de ton et le nombre d’années déjà passées au trône, le monarque fait partie des chefs traditionnels les plus respectés de la région de l’Ouest. Tête de turc, incorruptible et très attaché aux valeurs traditionnelles, il a plusieurs fois envoyé balader le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) et ses mirobolantes propositions à travers lesquelles on voulait l’acheter comme beaucoup de ses pairs. D’ailleurs, l’homme n’a jamais supporter qu’on tente de lui coller une étiquette de sympathisant de près ou de loin, du parti du Flambeau ardent pour lequel il a rarement partagé les opinions ou la doctrine. A chaque fois qu’il en a eu l’occasion, il n’a pas hésité de flinguer à bout portant cette formation politique et même les idéaux de son éternel président Paul Biya.Dimanche dernier encore, le « gardien des traditions » dont on connaît le franc-parler, n’a pas mis de gants lorsque l’occasion lui a été donnée d’entrée, de faire une espèce de bilan de l’année 2020 écoulée qu’il assimile à une année maudite. L’urgence de reconstruire «L’année 2020 a été marquée par beaucoup de faits. Mais le plus grave, c’est la mort de tous mes enfants de l’autre côté du Cameroun (au Nord-Ouest et Sud-Ouest). Les tueries surtout des enfants et des femmes me font très mal. Même pendant les guerres d’indépendance, lorsqu’on voyait une femme et des enfants passer, on arrêtait de tirer et on les laissait passer. Mais aujourd’hui, ce qui me fait très mal, c’est de voir ces êtres sans défense, se faire massacrer sans raisons», a-t-il déploré. Du haut de ses 83 ans, le chef traditionnel soutient mordicus que le premier responsable de ce conflit, qui a déjà fait plus de 3000 morts et au moins 700 000 déplacés selon des chiffres crédibles, n’est autre que le Chef de l’Etat. «Le président Paul Biya a abandonné son peuple. (…) Quand il y a une situation comme celle que nous venons de vivre sur toute l’année 2020, le Chef de l’Etat aurait fait plusieurs sorties», croit savoir le doyen des chefs traditionnels de la région de l’Ouest. Lui qui estime que la voie de sortie de crise passe inéluctablement par l’instauration d’un large dialogue. Pas uniquement pour résoudre la crise anglophone, mais aussi pour réconcilier les camerounais, dont certains subissent des frustrations depuis les années d’indépendance. «Pour que la paix revienne au Cameroun, il faut que certaines personnes reconnaissent qu’elles ont mal fait, qu’on les pardonne et qu’on reconstruise le pays», a déclaré le Roi des Bamendjou. Pendant deux heures, ce dernier est également revenu sur l’évolution démocratique au Cameroun, notamment en ce qui concerne l’organisation des élections.Pour celui qui se présente comme un homme de terrain, le pays de Félix Moumié n’a jamais organisé une véritable élection démocratique, depuis son accession à l’indépendance. « Ceux qui disent qu’ils sont députés là je vous dis que depuis 1960 il n’y a jamais eu d’élus au Cameroun. Depuis 1960, il n y a jamais eu des élections libres au Cameroun », at- il déclaré sans faux fuyants. Comme à son habitude Sa Majesté Sokoudjou a dénoncé la corruption, la mal gouvernance, l’injustice et le manque d’union de l’opposition. Sur ce dernier point, il a notamment fustigé une forme d’égoïsme des leaders de l’opposition qui, selon lui, sont animés par des intérêts égoïstes plutôt que de sauver et faire prévaloir l’intérêt général. Pression nationaliste Apolitique aux prises de positions incendiaires et politiquement incorrectes, il dit son pouvoir venir de Dieu et se prolonger dans la confiance de son peuple. Comme il le clame souvent selon son entourage, la démocratie serait Bamendjou, une chefferie qu’il dirige depuis 1953. Né en 1938, il aura donc vu, très jeune, mais de l’intérieur, le Cameroun arracher son indépendance sous la pression nationaliste à laquelle il apportera du sien; comme il verra aussi le pays s’ouvrir au pluralisme politique en 1990. L’immense personnage reste aujourd’hui un observateur averti de l’actualité camerounaise et panafricaine.C’est que celui qui en 1959 continuait à suivre des cours par correspondance de l’Institut des sciences politiques de Paris du fond de la prison centrale de Bafoussam, est devenu au fil des années et de ses prises de positions audacieuses, un leader d’opinion, au-delà de sa stature de chef traditionnel, de grand opérateur économique et paysan. Luttes d’indépendance Faut-il parler de quiétude pour cet homme qui à l’âge de 7 ans a fait le trajet Yaoundé-Douala-Yaoundé à pied ? 600 km de marche puisqu’au retour, il s’arrête à Akono, petite bourgade située à 40 Km de Yaoundé où il est recueilli par un cheminot retraité, Simon Atangana chez qui il apprendra la langue Ewondo, une des langues de la région. Après une régence de prêt de 10 ans et les rites initiatiques du Laakam (noviciat traditionnel), celui que l’on appelle « Fo’o Sokoudjou le Rebelle » traine aujourd’hui 64 ans de règne à la tête de la chefferie Bamendjou, dans la très traditionnelle région de l’ouest Cameroun. Entre temps, il aura connu les geôles coloniales au cours des luttes d’indépendance des années 1950; reçu par le pape Pie XII, inventé en 1970 les toits coniques bamilékés inspirés des donjons du Louvre à Paris. Dans une des ailes de son imposant palais, il possède un important musée ou en photos, par des objets d’art, des cadeaux, on peut également revivre l’histoire du Cameroun des indépendances à nos jours. Un musée où l’on retrouve des photos rappelant les émeutes ayant déclenchés la guerre d’indépendance le 25 mai 1955 à Douala, aux côtés de Um Nyobé, Félix Moumié (deux nationalistes assassinés). Quant au jeune Sokoudjou, déjà chef traditionnel en pleine régence, il traversera le pont du Wouri. Dès 1957, il sera mis en résidence surveillée par un détachement de l’armée française, jusqu’en 1959, avant d’être transféré à la prison de Bafoussam où il passe 18 mois. Et son règne continue.
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