Mandats : au rythme des élections contestées

Héritier du pouvoir suprême depuis 1982, Paul Biya semble désormais éloigné des promesses faites aux camerounais lors de son accession. L’effervescence suscitée par son arrivée au pouvoir, le 6 novembre 1982, reste vivace dans la mémoire de ses concitoyens de cette époque. Paul Biya qui héritait le pouvoir d’Ahmadou Ahidjo donnait les gages d’un homme intègre et rompu à la tâche. Celle d’un commis de l’Etat ayant fait ses preuves dans différents couloirs de la haute administration publique. Le jeune président de 49 ans indiquait lui-même qu’il entendait inscrire son magistère sous le signe de la redéfinition de la pratique politique au Cameroun, tel que le souhaitaient les camerounais. Le président nouvellement adoubé incarnait un rêve de justice sociale de part sa réputation de probité. Ce temps-là va durer 16 mois. Dès le lendemain du 6 avril 1984, les camerounais découvrent un autre visage de l’homme du «Renouveau». Dès cette époque, le fils du catéchiste de Mvomeka a revêtu le costume du lion qui n’entend céder aucun espace de son pouvoir. Une posture qu’il renforce lors des réclamations de l’opposition en 1991. Aujourd’hui encore, se adversaires lui prêtent l’image d’un «manœuvrier». Celle d’un président qui s’agrippe au pouvoir et use de tous les moyens pour annihiler toute expression démocratique. Près à verrouiller l’expression des libertés fondamentales. Comme si la gouvernance Biya tient désormais de «Tant que Yaoundé respire, le Cameroun vit» et «L’ordre règnera par tous les moyens, la démocratie avance-ra».Expression issue des postures de Paul Biya a des moments où ses concitoyens attendaient qu’il lâche du lest. Un magistère sous contestations L’élection présidentielle de 1992 va consacrer l’homme dans sa posture d’amoureux du pouvoir, prêt à affronter la volonté d’une partie du peuple et une opposition qui ne ménage aucun moyen pour en découdre. Les résultats de cette échéance sont en elles-mêmes anecdotiques de la détermination de l’homme à conserver son fauteuil. Avec 39 ; 95% des suffrages exprimés en sa faveur, Paul Biya gagne face au candidat du Social democratic front (Sdf), Ni John Fru Ndi qui crie à la fraude. Contre vents et marées, Paul Biya conserve le fauteuil présidentiel. L’homme réussit par la suite l’exploit de fragiliser une opposition qui semblait pourtant décidée à redéfinir la donne. De fil en aiguille, Paul Biya s’attèle à réduire les principales formations de l’opposition à des rôles de figurants sur l’échiquier politique. Dans le même temps, la scène politique est caractérisée par le désenchantement de la majorité des camerounais qui désertent les urnes. Puis vient l’élection présidentielle du 7 octobre 2018. Répondant à l’appel du chef de file du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), Maurice Kamto, et celui du candidat du Parti camerounais pour la reconstruction nationale (Pcrn), Cabral Libii, la scène politique connait un léger frémissement. Une fois de plus, le candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) est déclaré vainqueur de l’élection présidentielle. Qu’importe les protestations de ses adversaires qui crient à la fraude. Jusqu’au-boutiste, le candidat du Mrc multiplie des outils de contestation. Une détermination à laquelle le locataire d’Etoudi oppose l’appareil répressif et sécuritaire visiblement acquis à sa cause. La stratégie de l’attentisme Le président garde le même flegme dans la gestion de la crise politique et sécuritaire qui sévit dans les régions à prédominance anglophone du Nord-Ouest et du Sud-ouest. Pourtant la situation s’envenime. Les revendications corporatistes et idéologiques exprimées depuis l’année 2016 ont laissé place à une guérilla urbaine qui continue à faire des morts. En réponse, l’armée est déployée pour résoudre un problème que les experts classent dans le registre des faits politiques. Fidèle à sa réputation de taciturne, l’homme du 6 novembre 1982 agit par à coup. En lieu du dialogue inclusif réunissant le gouvernement, les acteurs de la contestation et des médiateurs consensuels, Paul Biya choisit d’organiser un grand raout dont les résultats n’ont pas calmé la fureur de la zone anglophone. Sous cape, ses partisans soutiennent que «le président connait tout ce qui se passe». Pis certains dénient l’existence d’un problème anglophone. Ordonnateur de toutes les initiatives et décisions, Paul Biya conduit une gouvernance par embuscade. Une réalité qui vient démentir ceux de ses adversai res qui pensent que le pouvoir est vacant. Sevré des long séjours dans les villes européennes, Paul Biya qui bat le record de résidence prolongée au Cameroun n’a pas changé sa posture d’homme impassible. Il est jusqu’à des membres du gouvernement qui soutiennent que seul compte pour l’homme la conservation de son pouvoir. Exit les promesses Le résultat des courses de la gouvernance Biya est visible. 38 ans après son accession à la magistrature suprême, la vie politique ne tient qu’aux caprices du vieil homme, souvent entouré d’une horde de courtisans qui mesurent l’ampleur du pourrissement mais se contentent des subsides qu’ils tirent de leur proximité avec le pouvoir et la fortune publique. Les guerres qui sévissent dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-ouest et la persistance des attaques terroristes qui déciment et déstabilisent le grand Nord du Cameroun constituent au plus fort des sources d’enrichissement pour la poignée d’oligarques et autres opportunistes qui s’y intéressent. Après 38 ans de magistère, l’homme qui promettait la démocratie et la prospérité au Cameroun présente un bilan bien différent des espoirs suscités par son arrivée au pouvoir. La crise économique justifiée par la récession internationale des années 1980 n’a pas fini de détruire le tissu économique national. La lutte contre la corruption annoncée reste dans le cadre des vœux pieux. Au demeurant, quelques anciens collaborateurs soupçonnés de prétendre au pouvoir de l’homme lion dénoncent du fond de leur geôle. Dans l’espace publique, la concorde nationale ne semble résister que par la proximité que les camerounais partagent dans la précarité ambiante et endémique. C’est que, à 88 ans dont 38 au pouvoir suprême, Paul Biya ne parait pas particulièrement au fait de cette masse qui rivalise d’imagination pour survivre au quotidien. Bien loin de l’homme qui entend laisser l’image de celui qui a apporté aux camerounais la démocratie et la prospérité.


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