Les usages politique de la mort au cameroun

Par Moussa Njoya, Politologue S’il est un phénomène dont l’universalité est plus qu’attestée, c’est bel et bien la mort. Elle est partout, elle rôde, elle est source d’angoisse et de tourment. Surtout en cette période de grande endémie. Et de confinement. La mort partage cette omniprésence dans l’humanité avec une activité : la politique. Elle trouve sa source en tout. Et elle mène à tout. Tout est politique et la politique est dans tout. Aussi, l’imbrication de ces deux phénomènes est-elle inévitable. Donnant lieu, selon les cas, à des situations pour le moins cocasses. Et le Cameroun, déjà une curiosité planétaire en bien de domaines, en offre des illustrations tout à la fois loufoques .que dramatiques. MOURIR POUR MOBILISER SES TROUPES 5 juin 2004. Une folle rumeur se répand comme une trainée de poudre : «Paul Biya est mort à Genève ! ». La « nouvelle » a été annoncée par le site internet tenu à l’époque par Ndzana Sème, ancien journaliste devenu activiste exilé aux Etats-Unis. Le démenti du gouvernement par un communiqué du secrétaire général de la présidence de la république d’alors, Jean-Marie Atangana Mebara, après quelques heures de flottement, n’avait pas du tout contribué à faire retomber la rumeur. Bien au contraire, la presse nationale, se basant sur les fameuses « sources généralement bien introduites » continuait d’alimenter les supputations. Les gens soupçonnant l’establishment du régime de Yaoundé de vouloir juste gagner du temps pour procéder à une passation bureaucratique du pouvoir, une forme de coup d’Etat constitutionnel. Pour une bonne partie de l’opinion publique d’alors, «Paul est mort, mais on cache la vérité au peuple ! ». C’est alors un président de la république bien décidé à tordre le coup à la rumeur qui va alors fouler le tarmac de l’aéroport international de Nsimalen en cet après-midi du 10 juin 2004. Aux corps constitués venus l’accueillir avec à leur tête le premier ministre de l’époque, Peter Mafany Musongue, Paul Biya va lancer une boutade empreinte d’humour, de raillerie et d’ironie : « Vous saluez un fantôme ! ». Aux journalistes venus massivement assister à ce « retour triomphal », il va leur demander : « Vous croyez, vous au fantôme ? ». Avant d’ajouter : J’étais en visite privée en Europe. J’ai appris comme tout le monde que j’étais mort ». Et de finir sur une phrase devenue depuis lors très célèbre : « Il paraît qu’il y en a qui s’intéressent à mes funérailles. Eh bien, dites-leur que je leur donne rendez-vous dans une vingtaine d’années ! ». Dans ses propos Paul Biya appellera les camerounais à une plus grande mobilisation autour de lui, en deux «messages». Le premier : «Je crois que c’est une blague. Une mauvaise blague. C’est ridicule. C’est inadmissible (…) Nous sommes une démocratie. Nous taisons des efforts pour développer l’économie. Le pays est stable, et nous n’avons pas que des amis. J’invite les Camerounais à redoubler de vigilance pour conserver leur stabilité mentale, leur stabilité politique ». Le deuxième message : « Nous allons inaugurer bientôt le pipeline Tchad/Camemun. C’est un événement important et symbolique dans la mesure où c’est un témoignage de la coopération entre deux Etats africains. Cest également un signe que l’Afrique centrale avance. ». Par la suite, il va se payer le luxe d’un gigantesque bain de foule à l’aéroport, allant à la rencontre, chose très rare, des populations venues l’ovationner. Son cortège s’ébranlera dans les artères de la ville de Yaoundé pour un mémorable tour de ville. Sur son passage, de milliers de curieux, militants du Rdpc et sympathisants, l’acclament. Sur les pancartes, on peut lire : « Papa j’ai beaucoup pleuré » ; « On n’enterre pas un lion vivant » ; Paul Biya encore pour un septennat ». L’on assiste à de véritables scènes d’hystérie collective. Ce qui fait dire aux journalistes de la Crtv, friands de formules ampoulées, que ce retour «rappelle l’entrée de Jésus à Jérusalem le dimanche des rameaux ». Quelques jours avant ce retour véritablement triomphal, l’ensemble du territoire national camerounais avait vécu au rythme des meetings de démonstration de l’attachement des populations à la personne de leur président. Comme à l’accoutumé les élites avaient pondu des « motions de soutien et de déférence ». Paul Biya, en redoutable «judoka de la politique » avait une fois de plus réussi à tourner à son avantage, une situation qui lui semblait à priori hostile. Lançant officieusement et tambours-battant sa campagne pour sa réélection en octobre 2004. Et surtout discréditant et prenant une longueur d’avance sur ses opposants et pourfendeurs, qui avaient largement participé à la diffusion de cette fausse nouvelle. Paul Biya démontrait ainsi, non seulement l’immaturité de ceux-ci quant au gouvernement de la cité, mais surtout son infaillibilité voire sa sacralité. MOURIR POUR DÉBUSQUER SES ENNEMIS Cet évènement de 2004 aura été aussi l’occasion de la naissance d’une notion : la génération 2011 ou encore « G11 ». Véritable serpent de mer, elle désigne un ensemble de hauts-commis de l’Etat qui s’étaient donné pour ambition de remplacer Paul Biya en 2011. Sa construction et son évocation aurait été à la base des tourments politico-judiciaire de bon nombre des pontes du régime. En effet, comme l’avoue quelque peu Jean-Marie Atangana Mebara, présenté dans bonne partie l’opinion comme le porte-étendard de ce groupe, quand la mort du président Paul Biya est annoncée, un certain nombre de hauts fonctionnaires et de dignitaires du Rdpc, essentiellement des « jeunes » quadras et quinquas, se sont réunis à l’effet d’examiner les scénarios de l’après-Biya. Ces « consultations » se seraient très vite arrêtées selon ces incriminés. Mais pour d’autres, y compris au sein de l’establishment, leur ambition est restée intacte, et l’affaire de l’avion présidentielle serait la démonstration de leur volonté d’en finir avec Paul Biya. De même que leurs immenses fortunes, amassées par le biais de la corruption ne serait rien d’autre que des trésors de guerre dans leur quête du pouvoir. Ainsi, l’annonce de la mort du président en 2004 aurait alors servi à débusquer tous les « ennemis de la maison ». D’ailleurs, à l’époque une bonne partie de l’opinion publique indexaient les «ennemis du régime qui ont voulu rébranler », et pointaient le doigt sur des « successeurs impatients ». Et ce ne serait pas un fait de hasard si les ennuis judiciaires d’Urbain Olanguena Awono, Abah Abah Polycarpe, Marafa Hamidou Yaya, Yves Michel Fotso et Atangana Mebara ont commencé véritablement en 2008, dans la mouvance de la modification constitutionnelle qui abrogeait la limitation des mandats présidentiels. Permettant ainsi une autre candidature de Paul Biya en 2011. TUER POUR HUMILIER ET DÉLÉGITIMER SES ADVERSAIRES Fin mars 2020. Un activiste camerounais, installé en France et connu sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme de « Kamoua la panthère » annonce d’un ton ferme et convaincu : « Paul Biya est mort ! Le tyran est parti ! ». Il l’ouvre une bouteille de champagne en guise de célébration. La suite, une infinie litanie de propos désobligeants à l’encontre du régime de Yaoundé, de Paul Biya ainsi que sa famille. La vulgarité langagière est de mise. L’alcool n’arrangeant pas sûrement les choses. Malgré le caractère assez grotesque de la scène et surtout du personnage, la « nouvelle » fait le tour du monde en quelques minutes. La magie des réseaux sociaux aidant. Les choses sont telles que certains activistes vont jusqu’à modifier la biographie du président camerounais sur encyclopédie en ligne Wikipédia, faisant mention de sa mort Je 25 mars 2020. On annonce pêle-mêle des ministres en fuite ou en demande d’asile politique en occident. Le démenti du ministre de la communication qui assurant «la communauté nationale et internationale, notamment les Internautes, de l’excellente forme du Chef de L’État, Son Excellence Paul BIYA, qui chaque jour, suit personnellement l’activité gouvernementale (…jet, impulse de sa Très Haute posture, la vie de la Nation », ainsi que le communiqué « additif » et « correctif » de Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la présidence de la république, n’y feront rien. Les contempteurs du régime l’accusent de vouloir organiser une « transmission de pouvoir de gré à gré ». La fameuse polémique sur la délégation de signature refait surface. Surtout que deux jours seulement après la sortie de « Kamoua la panthère », Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) va déclarer : «« Si dans les sept jours, Monsieur Paul Biya n’assume pas les fonctions présidentielles qu’il s’est octroyé par la fraude électorale, alors je vous donnerai, par divers canaux, la conduite à tenir afin que nous nous prenions en charge nous-mêmes. ». Une semaine plus tard ses menaces se feront plus précises : «Mais si, dans les 7jours suivant la publication de la présente déclaration le Président de facto du Cameroun n’avait pas donné une preuve physique de ce que c’est bien lui qui est aux commandes de l’Etat, nous nous trouverions dans l’obligation d’engager les procédures juridiques adéquates pour obtenir le constat, par les instances compétentes, delà vacance présidentielle et ses suites constitutionnelles ». Il est alors plus que clair pour une bonne partie de l’opinion publique que Paul Biya est mort. Surtout que ce dernier observe un silence assourdissant et ne se montre guère en public. Pour bon nombre, un homme de la carrure et de la stature de Maurice Kamto ne peut se livrer à de telles déclarations sans véritables raisons. En fiait, la démarche du président du Mrc ne visait autre chose qu’à délégitimer et surtout à humilier e régie en place, en démontrant l’impotence du président Paul Biya. C’est dans cette logique qu’il lancera un fonds de solidarité concurrentiel à celui qui avait été mis en place par le gouvernement. Et demandera aux populations de s’auto-organiser face à ce qu’il considère comme une désertion du « commandant des troupes » Paul Biya. Id, on « tue » son adversaire davantage pour signifier qu’il est désormais incapable de gouverner. LES OBSÈQUES COMME INSTANT DE POSITIONNEMENT L’on l’a vu à tous les instants des obsèques de son mari. Patrida Tomaino Ndam Njoya n’a pas lésiné dans la prise en main des obsèques de son mari. Allant jusqu’à conduire en personne la voiture ayant servi de corbillard de circonstances. Recevant en personne tous les invités de marque, prononçant des discours et surtout supervisant les militants de l’Udc venus massivement, Patrida Tomaino était la femme à tout faire des obsèques de son mari au point d’heurter plus d’un quant à ce qu’ils considéraient comme un manque de dignité de la part d’une femme censée être éplorée en pareilles circonstances. Mais l’épouse de Ndam Njoya, en bonne bête politique, savait très bien à quel jeu elle se livrait. En occupant ainsi les devants de la scène, elle se drapait d’office des oripeaux de légataire politique du défunt président de lUdc. Une place qui ne lui revenait pas naturellement, tant sur la base familiale que de la structuration officielle et statutaire du parti. Par cette mise en avant lors de ce deuil, elle a pu faire facilement préemption sur la mairie de Foumban, qui plus que jamais apparait comme un bien familial. Cette situation n’est pas sans rappeler les comportements des élites lors des obsèques des autorités traditionnelles et autres patriarches. L’organisation des obsèques confère ainsi une forme de légitimité pour parler aux noms des fils et filles du coin. Une forme de « représentativité » qui peut s’avérer très utile pour son ascension politique. L’organisation des obsèques apparaissant comme une forme de « recommandation post-mortem » de l’illustre défunt. De même que le représentation du chef de l’Etat à des obsèques officielles est perçue dans le landemeau politique national comme étant non seulement un signe de confiance de celui-ci mais surtout est une illustration de l’importance qu’occupe le bénéficiaire dans l’establishment.


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