15 modifications à apporter au code électoral

Alors que le directeur général des élections demande à ses collaborateurs de formuler des propositions de réforme du Code électoral, notre consultant, Moussa Njoya, soulève 15 points cruciaux qui devraient faire l’objet de révision dans le système électoral camerounais. Partant des expériences puisées de l’organisation et de la gestion des récentes échéances électorales, et dans la perspective d’une contribution à la réforme éventuelle du Code électoral, j’ai l’honneur de vous inviter à bien vouloir mener une réflexion et de soumettre sous huitaine, vos propositions d’amendements de la loi portant Code électoral au Cameroun. ». Tel est l’essentiel de la teneur de la correspondance adressée le 19 février 2021 par le Directeur des élections, Erik Essousse, à l’ensemble des délégués régionaux d’Elections Cameroon (Elecam). Une telle initiative ne saurait être anodine, et laisse transparaître ou supposer que dans les prochains jours, le gouvernement entamera un processus de modification des règles régissant les élections au Cameroun, et qui culminerait lors de la prochaine session parlementaire de mars. L’éventualité est d’autant plus grande que cette session est très souvent consacrée à l’examen des lois constitutionnelles et organiques ; le Code électoral en vigueur ayant d’ailleurs été adopté à la même période en 2012. Cette initiative est davantage plus opportune qu’elle intervient dans un moment de temps-mort électoral ; ce qui permettrait des échanges en toute lucidité et tranquillité des acteurs. Les prochaines élections étant certes certaines, mais lointaines. Aussi, apportons-nous quelques éléments de contribution à la réflexion, en indiquant quelques 15 points, entre autres, sur lesquels pourrait porter une éventuelle modification du code électoral. Ces propositions étant, bien entendu, très loin d’être exhaustives. 1- L’âge de la majorité électorale La loi électorale prévoit que la majorité électorale est fixée à 20 ans au Cameroun. Une disposition qui avait été arrêtée lors de la tripartite d’octobre-novembre 1991, dans des conditions presque burlesques. Pour la majorité des observateurs, cette disposition est des plus incongrues, eu égard a l’âge médian des Camerounais, mais surtout a certaines réalités. Car comment expliquer par exemple qu’on ait le droit de s’engager dans l’armée, et éventuellement mourir pour la patrie, à 18 ans, mais qu’en même temps, qu’on ait pas le droit de se prononcer sur le choix des décideurs, et les choix décisifs, qui engagent la vie de la Nation ? En somme, cette majorité électorale instaure une forme de « demi-nationalité » qu’il faudrait combler. 2- La limitation des mandats En mars 2008, l’Assemblée nationale camerounaise décidait de faire un ré-tropédalage, en levant le verrou de la limitation des mandats présidentiels, tel qu’il était prévu à l’article 6 alinéa 2 de la constitution du 18 janvier 1996. Ouvrant ainsi, suite à un projet de loi gouvernemental, la voie à un pouvoir perpétuel. Si la soumission et l’adoption de ce projet de loi avaient été précédées les mois d’avant par un vaste chorus des militants et sympathisants du Rdpc, sous le vocable de ce qui avait été appelé « les appels du peuple », sous forme de recueils des motions de soutien au président de la République dans sa démarche, elles étaient surtout intervenues au lendemain des émeutes très meurtrières de février 2008, qualifiées « d’émeutes de la faim », mais que beaucoup considèrent comme des émeutes de contestation de la modification de la constitution. Aussi, pour beaucoup, tant dans l’opposition qu’au sein du régime, les tensions que traverse le Cameroun sont-elles en grande partie dues à l’absence de toute perspective claire d’alternance. Comme l’a si bien dit lors du Grand Dialogue National de septembre-octobre 2019, le Sultan Ibrahim Mbombo Njoya. Il serait alors opportun de revenir à la limitation des mandats présidentiels, et pourquoi pas législatifs, municipaux et régionaux. Toute chose qui permettrait non seulement de retrouver une forme de modernité politique, mais surtout de garantir la transmission générationnelle du pouvoir, que semble désormais appeler de tous ses vœux, Paul Biya himseif. 3- Le financement des campagnes électorales La loi prévoit qu’une dotation financière publique est faite aux candidats ou listes des candidats lors de chaque élection, afin de contribuer à leurs frais de campagne électorale. Une pratique qui fait l’objet de contestations régulières, tant du fait de ses mécanismes qui veulent que le gouvernement décide seul des montants alloués, que la modicité de ces montants justement. Il faudrait que le Cameroun passe ainsi du système de financement préalable des candidats, instauré lors des élections législatives de mars 1992, au système de remboursement des frais de campagne. Comme cela se fait dans la plupart des démocraties et pays du monde. 4- Le bulletin unique Il est prévu que chaque candidat ou liste de candidats dispose lors d’une élection d’un bulletin de vote à ses couleurs. Une pratique qui engendre d’importants coûts, mais surtout beaucoup de corruption électorale. Pour y pallier, le bulletin unique semble des plus indiqués. 5- La biométrie intégrale L’une des plus grandes innovations d’Elecam à partir de 2013 aura été l’instauration de la biométrie. Seulement, celle-ci se limite à l’inscription. Ce qui fait en sorte qu’elle n’a pas pu résoudre les problèmes qu’elle était censée faire, à savoir : les inscriptions et les votes multiples. Il faudrait alors instaurer une biométrie qui va de l’inscription à la constatation des votes. 6- Le temps de la centralisation des votes Grosso modo, la loi prévoit un délai de 72 heures pour le transfert et la centralisation des procès-verbaux des commissions locales de vote vers les commissions départementales ou régionales, selon le type de scrutin. Si ces délais pouvaient se justifier dans les années 1990 par l’absence ou l’indigence des moyens de communication et de télécommunications dans la plupart des localités reculées du pays, ce délai assez long ne saurait plus s’expliquer de nos jours, avec toutes les possibilités qu’offrent désormais les grandes avancées ^technologiques. 7- La composition du conseil électoral d’Elecam Le conseil électoral qui est l’organe délibérant suprême d’Elecam est aujourd’hui composé de 18 personnalités. Toutes nommées par le président de la République, la majorité étant des anciens militants ou sympathisants du Rdpc. Une situation qui est source d’importantes critiques et qu’il conviendrait de modifier en rendant davantage le conseil électoral plus paritaire entre les partis politiques représentés dans les institutions. Et en réduisant les marges de manœuvres présidentielles en ce qui concerne les nominations en son sein. 8- La composition des commissions de supervision et de recensement des votes Selon le type d’élection, il est prévu une commission départementale ou régionale de supervision de votes, ainsi qu’une commission nationale de recensement des votes pour ce qui est de la présidentielle. Seulement, la composition de celles-ci fait en sorte que l’administration et Elecam sont souvent, et très paradoxalement, majoritaires, face aux partis politiques qui sont pourtant candidats aux élections. Ce qui serait source de biais en faveur du parti au pouvoir. Il conviendrait, à l’image de ce qui est recommandé pour le conseil électoral, de rendre ces commissions, plus paritaires, en revoyant à la baisse, les quotas prévus pour l’administration et Elecam. 9- L’autonomie financière d’Elecam Il est connu de tous que la main qui finance est celle qui gouverne, et que l’argent est le nerf de la guerre. Seulement, il se trouve qu’Elecam est dans une situation de très grande précarité financière ; dépendant exclusivement des subventions que veut bien mettre à sa disposition le gouverne-ment.II serait alors mieux de doter Elecam d’un budget autonome que ses responsables défendraient directement au parlement, comme le font les autres institutions. 10- Le calendrier électoral En l’état actuel de la législation, le calendrier électoral est totalement l’apanage du président de la République. Et ce en dépit de quelques encadrements de délais que lui fixe la loi. Car les intervalles des delais sont si larges, et les marges de manœuvres légales et constitutionnelles en la matière du président de la République si importantes, qu’au finish, il est toujours le seul à savoir quand se tiendra tel ou tel autre scrutin. Une pratique qui semble non seulement surannée, eu égard au contexte international ambiant, où mêmes les pays très moins avancés que le Cameroun connaissent la date de la ténue de leurs élections, un an voire plusieurs avant, mais surtout assez désavantageuse et dolosive vis-à-vis des partis d’opposition. 11- Elections à deux tours Face au système de multipartisme intégral qu’ils ont adopté, et qui a pour corollaire un nombre exponentiel de partis politiques, et surtout une fragmentation importante de l’électorat, la plupart des pays africains ont adopté le principe des élections à deux tours. Ceci afin d’assurer une plus grande légitimité des élus, et une meilleure organisation de l’espace politique. Le Cameroun devrait ainsi saisir cette occasion pour quitter la marginalité en matière électorale en mettant sur pieds le principe des élections à deux tours. 12- La durée de la campagne électorale La loi prévoit pour toute élection, une durée de 14 jours pour la campagne électorale. Un délai assez insuffisant, notamment pour certaines élections à l’instar des régionales, des sénatoriales et surtout de la présidentielle. Il conviendrait de rallonger ces délais afin de permettre un meilleur déploiement des candidats. 13- Les délais du contentieux électoral Suite aux élections, les partis ou candidats disposent, selon les cas, de 72 heures ou de 5 jours, pour introduire leurs requêtes en contestation des élections. Or, eu égard aux moyens de droit et de faits qui doivent être déployés en matière de contentieux électoraux, ces délais sont plus que courts. Donc, il faudrait les rallonger considérablement pour permettre aux parties de mieux préparer leurs dossiers. 14- La capacité d’auto-saisine du juge électoral Le juge électoral, qu’il soit administratif ou constitutionnel, est chargé de veiller à la régularité des élections. Seulement, il se trouve que l’initiative des contentieux reste prisonnière entre les mains des candidats et des agents du gouvernement. Ceci fait que de graves irrégularités sont souvent constatées, mais restent sans effet du fait du désistement des parties ou de la non-introduction d’une requête. Il en a été ainsi par exemple de la constatation d’un acte de naissance frauduleux d’une candidate à l’élection sénatoriale de 2018. Suite au désistement de la partie adverse, sa candidature avait été validée. Mais la question demeure : comment le Cameroun peut-il se permettre d’avoir un sénateur qui s’est rendu coupable de faux et usage de faux en écriture publique et authentique, et de falsification d’acte de naissance ?Face à de telle situation, le juge electoral à l’instar du Ministère public en matière pénale, devrait avoir une capacité d’auto-saisine. 15- La question du genre et des composantes sociologiques La loi se limite à demander que les listes électorales doivent être représentatives des composantes sociologiques, sans aucune autre précision. L’exigence de présence des femmes sur les listes étant une simple résolution du conseil électoral d’Elecam lors des élections municipales et législatives de 2013. Dans un contexte de nécessité de protection des minorités et de promotion de l’approche genre, il serait impérieux de préciser, une fois pour toutes dans le Code électoral, les quotas ou les pourcentages de représentativité des femmes et des minorités.


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