L'état oublie les entreprises dévastées par les rebelles

Que ce soit pour les sociétés publiques ou privées vandalisées lors des conflits, aucune mesure de sauvetage annoncée dans le programme de reconstruction et de développement, lancé il y a plus de 11 mois par l’État, n’a été mise en application. C’est ce qui explique les fermetures, les arrêts d’activité, les dégraissages et tes délocalisations. Dagobert Boumal est le.directeur général de la Cameroon Tea Estate (Cte). Cette entreprise, qui appartient au magnat milliardaire Baba Danpullo. contrôle la filière thé dans toute l’Afrique centrale, avec l’autre filiale Ndawara Highland Tea Estate (NHTE). Les plantations situées dans les régions du Nord Ouest et du Sud-Ouest ont été détruites par les groupes armés lors des représailles en zoné anglophone. La direction chiffre aujourd’hui les pertes à plusieurs milliards de Fcfa. Elle pâtit lourdement de cette insécurité. Victimes de violences et d’intimidations, lés employés se hasardent très peu dans les champs, dont l’entretien est délaissé. La production est passée de 3 763 tonnes à 1 828 tonnes entre #015 et 2020, soit un plongeon de 51,4% sur la période. « Les nouveaux chiffres sont encore plus énormes. Les conséquences sur nos activités sont catastrophiques ». glisse Dagobert Boumal qui a rencontré ces dernières années des représentants de l’Etat à plusieurs reprises pour solliciter leur soutien sans jamais rieh avoir. « Nous avons eu plusieurs fois des réunions avec le ministère des Finances, mais cela n’a abouti à rien. L’Etat promet beaucoup, mais ne réalise pas », explique Boumal. Par conséquent, la nouvelle usine construite en 2017 à Tolé dans le Sud-Ouest pour plus de deux milliards de Fcfa tarde-à entrer en activité. Le projet Dampullo d’implanter deux nouvelles unités dans le Nord-Ouest pour près de quatre milliards de Fcfa reste pour le moment dans les cartons, faute de visibilité sur l’issue du conflit. L’industrie Brassicole n’est pas en reste. Guinness (groupe Diageo) a vu son dépôt d’EkondoTiti partir en fumée, l’obligeant à fermer ceux de Mamfé et de Kumbo. Le secteur a enregistré une perte de 40 milliards Fcfa en 2019. La Cameroon Alcohol Producers Association (Capa) qui regroupe les poids lourds du secteur -Guinness. SABC (groupe Castel), UCB (groupe Kadji). Fermencam (groupe Foyou). et Sofavinc (groupe Fokou)-, a fait ses comptes. Le chiffre d’affaire a chuté de 15% sur la période tandis que la production dégringolait de plus de 10%. Outre l’incendie des camions de transport, le circuit de distribution est gravement perturbé, empêchant de fait la disponibilité des produits dans les zones reculées. 30 milliards de Fcfa pour réhabiliter les plantations L’activité du deuxième producteur de bananes est désormais àj’arrêt. Quatre plantations d’hévéas sur onze fonctionnent à la moitié de leur capacité, tandis que deux palmeraies sur sept demeurent en activité. Entre temps, son directeur général Franklin Ngoni Njie, a établi sa facture. Il a besoin de 30 milliards de fcfa pour réhabiliter des plantations d’hévéas, de bananes et de palmiers à huile ainsi que des unités de transformation dévastées par les rebelles. Redoutant des violences et des enlèvements, plus de 90% des 22 000 employés ont abandonné les champs et ce ne sont pas les 2,7 milliards de Fcfa débloqués par Yaoundé pour éponger les arriérés de salaires qui ramèneront la sérénité dans les rangs. De fait, ces employés subissent une double peine, comme l’explique le dirigeant d’une agence bancaire qui avoue ne plus leur accorder de crédits. Les planteurs toujours victimes de violences Plus préoccupant est le cas de la Cameroon Development Corporation (CDC), première agro-industrie du pays et deuxième employeur après l’Etat. Son plan de restructuration et de soutien devant s’étaler de 2018 à 2020. pour 178 milliards de fcfa, est désormais compromis. Le 3 janvier, une bande armée a attaqué une douzaine de travailleurs, dont quatre auront des doigts coupés dans le camp de Sonne Likomba Estate de Tiko, l’une des exploitations de thé encore en activité. A ce jour, une cinquantaine d’employés ont été victimes des rebelles. Pamol, deuxième agro-industrie de la région du Sud-Ouest spécialisée dans la production d’hévéa et d’huile de palme a essuyé un recul de 15% de sa production, avant de déposer le bilan dans le courant de 2019, avec des arriérés de salaire de l’ordre de trois milliards de Fcfa. Confrontées comme la CDC aux mêmes difficultés, ces entreprises attendent toujours une subvention venant de Yaoundé. 62% des pylônes télécoms vandalisés Pour marquer leur présence, les bandes armées s’attaquent aux personnes et aux biens. 62% des pylônes télécoms installés dans les zones anglophones ont été vandalisés. Ce qui affecte les communications et a une incidence sur les revenus des entreprises de télécoms. « Le chiffre d’affaires dans ces deux régions a énormément baissé au cours des deux dernières années » indique sans plus de précision un cadre d’un opérateur de téléphonie mobile. Les pertes enregistrées par le secteur du fait de la destruction des infrastructures de télécommunications se chiffrent à plus de 100 milliards de Fcfa. A cela s’ajoute les coûts supplémentaires liés à la sécurité. Avec une population estimée à quatre millions d’habitants, soit 16% de la population camerounaise, les deux régions contribuent encore pour 16% au PIB. L’essentiel de la richesse provient du Sud-Ouest qui concentre les agro industries ainsi que de nombreuses entreprises du secteur touristique. Ses ressources en hydrocarbures (pétrole et gaz) en font une zone stratégique de premier plan. Le secteur bancaire souffre aussi de ces ravages. La Banque internationale du Cameroun pour l’épargne et le crédit (Bicec-groupe BPCE) a été contrainte de fermer son agence de Mamfé. Uba Cameroon renonce aussi à ouvrir ses bureaux de Buéa. avec les journées mortes « ghost town », qui continuent d’être imposées par les séparatistes. Le programme de reconstruction inefficace Lancé par le chef de l’Efat en 2020, le plan présidentiel pour la reconstruction des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest avec un budget de 90 milliards de Fcfa tarde à porter des fruits. Ce programme est très critiqué par les investisseurs. « Que les entreprises concernées se rapprochent des maires territorialement compétents qui travaillent en ce moment à recenser les sinistrés. Après quoi, ils vont remonter les informations au niveau de la commission centrale qui va apprécier et discriminer », a expliqué une source proche de la commission. La loi oblige pourtant l’Etat à agir Le principe directeur de l’Onu sur les déplacés internes rappelle que «C’est aux autorités nationales qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide aux personnes déplacées, ou sinistrées à l’intérieur de leur propre pays qui relèvent de leur juridiction ». Le principe 3 précise que « les personnes déplacées, ou sinistrées lors des conflits à l’intérieur de leur propre pays ont le droit de demander et de recevoir une protection et une aide humanitaire desdites autorités. Elles ne doivent être soumises à aucune persécution ou punition pour avoir formulé une telle demande ». Comme quoi, la demande des investisseurs doit être prise en compte par l’Etat.


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