Enquête sur une compagnie condamnée au crash, et que le système s’acharne à maintenir sous un coma cérébral. Une bonne partie du personnel de la Cameroon Airlines Corporation (Camair-Co) devrait observer un arrêt de travail illimité depuis le 26 février, à l’appel du Syndicat des travailleurs des transports aériens (STTA). Dans la transmission de préavis de grève faite trois jours auparavant au directeur général, Louis Georges Njipendi, les protestataires constatent que la compagnie aérienne nationale «progresse à pas de géant vers une faillite quasi certaine». Le même jour, le syndicat, dans une note circonstanciée au délégué régional du Travail et de la Sécurité sociale du Littoral, égrène un chapelet de motifs dessinant les contours d’un crash que certains prédisent comme inéluctable. Y sont ainsi exposés, le risque très élevé de cessation d’activités, la menace très sérieuse de perte du certificat de transporteur aérien (CTA), un cadre institutionnel défavorable, une exploitation réduite au point le plus bas, un personnel traumatisé et terrorisé, un organigramme non connu et/ou non pourvu. Y passent aussi, l’absence de vision, de missions, d’objectifs et de valeurs claires, la perte drastique et dramatique de la clientèle, le surendettement, des locations et acquisitions inappropriées du matériel et des aéronefs, ou encore la récurrence du phénomène des arriérés de salaire, une autre plaie en passe de s’incruster. Cette nouvelle montée d’adrénaline, chez le personnel, intervient alors que le gouvernement entend, à l’instar d’autres entreprises publiques moribondes, revoir le modèle économique de la Camair-Co. Laquelle, en 2019, continuait de crouler sous une dette de quelque 32 milliards de francs, d’autres milliards de subventions ou encore les prêts bancaires, finissant par apparaître comme autant de pansements sur une jambe en bois. «Pourquoi les autres font bien et pas nous? Peut-être c’est le modèle économique qui n’est pas bien. Je commence à me demander si c’est possible d’avoir une bonne compagnie aérienne nationale sans avoir un hub qui soit important. Peut-être que les deux vont ensemble. Il faut réfléchir sur tout un écosystème qui englobe les aéroports et le transporteur aérien. Et je vous le dis, le chef de l’État est très embêté par cette situation», soliloque le ministre des Finances (Minfi), Louis Paul Motaze. Et l’ex-directeur commercial de la compagnie de laisser tomber, fataliste : «Est-ce que le problème n’est pas que dès le départ, on est parti d’une solution d’une entreprise 100% publique? Je n’en sais rien.» Car là est le problème. Si l’argentier national en est encore à tergiverser sur la médication, c’est le diagnostic de départ est soit biaisé, soit faux. Ou les^dgux. À moins que, fatalement, lè gouvernement, dans un orgueil puéril, n’ait décidé d’étaler, une fois de plus au grand jour, son incapacité à réformer et à relancer. Cette dernière thèse prospère dans la tête de plusieurs spécialistes des questions éco-structu-relles. Depuis son lancement, le 28 mars 2011, la Camair-Co n’a en effet jamais véritablement atteint la vitesse de croisière, sa flotte, aujourd’hui réduite à sa plus simple représentation, étant par ailleurs régulièrement clouée au sol pour diverses pannes et autres dettes auprès des prestataires. Et ce malgré une promesse d’ôuverture du capital aux privés, jamais concrétisée par les pouvoirs publics depuis plus de 7 ans. La compagnie aérienne nationale, avec ses effectifs pléthoriques a en outre fait, en 2016, l’objet d’un plan de redressement proposé par le cabinet américain Boeing Consulting, une stratégie de relance restée elle aussi sans effets. Laquelle prévoyait, outre l’apurement de la dette, l’injection de 60 milliards de francs, le redimensionnement du réseau ainsi que la modernisation du parc d’aéronefs à 14 appareils. On promettait, entre autres, la reprise des vols domestiques, l’ouverture de 5 dessertes intercontinentales et de 13 destinations régionales. Réseaux de clientélisme La Camair-Co semblait pourtant sortie ’de l’éternelle zone de turbulences lorsque, en février 2019, sa direction générale se targuait d’avoir transporté quelque 350.000 passagers l’année d’avant contre près de 300.000 en 2018, les recettes annuelles étant quant à elles passées de 16 à plus de 26 milliards de francs pendant la même période. Le top-mdnage-ment annonçait alors le transfert des biens de son ancêtre, la Camair et de l’État à son patrimoine, mais également l’ouverture du capital à travers un appel de fonds aux entreprises publiques et privées. Il rassurait par ailleurs du traitement de sa dette, soit 35 milliards de francs à fin juillet 2016, pour une flotte alors constituée de 5 appareils. Des rêves en technicolor, pour une structure délibérément maintenue sous coma cérébral par les réseaux d’influence. La nomination, en mai 2019, de Louis Georges Njipendi, 6ème pilote en chef en 8 ans 0’existence, est une traduction parfaite de ce que la Camair-Co vogue dans des courants contraires. Plombée par les réseaux de clientélisme, inspirée d’un modèle économique sans vision et où le politique commande les choix managériaux, l’«Etoile du Cameroun» est demeurée pâle depuis le départ. Pour ne rien arranger, elle a, en octobre 2019, rappelé au siège ses cadres en service dans les agences d’Abidjan, Cotonou et Lagos, en même temps qu’elle suspendait les lignes desservant l’Afrique de l’ouest. En juillet d’avant, le Minfi avait lancé un appel d’offres national pour le recrutement des cabinets d’audit sur la comptabilité et les finances de la Camair-Co, mais aussi de la Cameroon Water Utilities (Camwater) et de la Cotonnière industrielle du Cameroun (Cicam). Un projet manifestement sans lendemains. Le dépit de Louis Paul Motaze, .voici quelques semaines au sujet de la première entreprise citée, traduit clairement l’impuissance du Cameroun à se doter d’une compagnie aérienne stable, viable, assise sur des bases de gestion débarrassées des considérations claniques. Comme pour ajouter à la confusion, la Commission technique de réhabilitation des établissements et organismes publics au Cameroun a remis le couvert en début de cette semaine. Elle a indiqué que le cabinet français Efac avait été désigné, au terme d’un appel d’offres international, pour effectuer l’audit de la Camair-Co. Le prestataire a deux mois pour réaliser l’autopsie de la compagnie moribonde, pour des honoraires de l’ordre de 59,028 millions de francs. Exit donc Boeing Consulting, son plan de relance et i’adoubement de Paul Biya.
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