Rareté des pièces de monnaie : la crise de trop

Transactions économiques. L’absence de ces signes monétaires ralentit les affaires, renchérit le coût de la vie et suscite des inquiétudes. La Beac, émettrice, a effectué des livraisons en fin d’année dernière. Mais le Cameroun n’a toujours pas réussi à endiguer le phénomène d’exportation de ces pièces vers des pays tiers. Enquête. Ali, un boucher au marché de Nkol-Eton refuse de vendre le quart de kilogramme de viande à sa cliente. Elle tient en main un billet de 1000 Fcfa. Il n’a pas 300 Fcfa à lui rembourser. Malgré les négociations, rien n’y fait. Le regard détourné, il propose dé lui faire une faveur ; à condition qu’elle ait des pièces d’argent sur elle : « Si tu as 200 Fcfa, je te donne 500 Fcfa ». Dubitative, la cliente s’en va. Elle parcourt le comptoir de trois autres bouchers. Et le problème de défaut de pièces de monnaie persiste. Lasse de la longue marche, la dame change de menu. « Je voulais un quart de viande. Je me contenterai des harengs ». La rareté des pièces de monnaie impacte l’activité économique. « Quand les clients arrivent, ils se disent que nous ne voulons pas servir. Pourtant, nous n’avons pas de pièces de monnaie », déplore Annie, une vendeuse d’épices. « Est-ce- qu’on va manger les condiments-là ? Je refuse de vendre parce que je suis incapable de rembourser 50 Fcfa à un client ». Assise devant son comptoir de fruits,, Rochelle a du mal à rembourser 200 Fcfa à une cliente qui a acheté des mandarines de 300 Fcfa. Elle collecte des pièces de monnaie auprès de ses voisines commerçantes. « L’affaire des pièces est vraiment compliquée. Il n’y a pas de monnaie. Un instant svp », laisse-t-elle entendre. Près d’elle, se plaignent d’autres commerçants. « Il faut avoir ses pièces lorsqu’on veut acheter des produits de moins de 500 Fcfa. Cela permet de faciliter les échanges entre les commerçants et les clients. Nous ne savons pas où vont les pièces de monnaie », s’emporte un commerçant. Cette situation prend de l’ampleur. Impossible de faire une transaction si l’on n’a pas de petite monnaie. Commerçants, taximen, boulangers et bien d’autres font face à ce problème. «Le problème de pénurie de pièces de monnaie se fait toujours ressentir. Je ne peux pas faire de remboursement si l’acheteur ne fait pas au moins des achats ou un transfert de crédit de 200 Fcfa », s’exclame Christian, un vendeur de crédit téléphonique. Dans des supermarchés et boulangeries, le client perd jusqu’à sa liberté d’acheter. « Lorsqu’un client arrive a la caisse avec ses produits, nous lui faisons une facture. Si elle est d’un montant impair, nous pouvons lui proposer des chocolats, des bonbons, des biscuits… pour combler », confie une caissière dans un supermarché. « Si le client adhère à l’offre, il n’y a pas de soucis. Parfois, nous avons des personnes qui restent réticentes et sont obligées de laisser des produits faute de monnaie. D’autres laissent cette différence au caissier », ajoute-t-elle. Dans les poissonneries, le scénario est le même. Des sacs de marché, des emballages plastiques biodégradables ou encore des cubes sont proposés en compensation. « Nous ne forçons pas les clients à adhérer à nos petites offres. S’il est d’accord, on le sert. Dans le cas contraire, il réduit sa quantité de poisson pour faciliter les échanges », se résigne une caissière dans une poissonnerie. Les conducteurs de moto et les taximen sont malmenés par cette pénurie. Stopper un taxi avec des pièces de monnaie en poche est désormais un argument. « Marché Mokolo, j’ai les pièces », aguiche un passager. Les taximen posent un condition principale pour prendre des clients : « J’espère que vous avez les pièces », demandent-ils, souvent avec fureur. « Il est difficile de transporter les passagers. Personne n’a les pièces de monnaie. Ça devient compliqué de travailler », se plaint Adrien Tientcheu, un taximan. « Parfois, les clients ont les pièces mais ne veulent pas les donner. Chacun a 500 ou 1000 FCFA. Nous sommes contraints d’utiliser toutes nos petites pièces de réserve pour rembourser », rajoute-t-iI. «Nous n’avons pas de choix, sinon nous roulons à vide. Puisque les usagers n’ont presque jamais la monnaie. Lorsque tu demandes à ton collègue les pièces pour 500 Fcfa, il n’en a pas», explique Roland. Les passagers, eux, estiment que le manque de pièces de monnaie est une ruse des commerçants et des conducteurs. « De nos jours, l’on ne peut plus acheter quelque chose de 200 Fcfa avec un billet de 500 Fcfa sous prétexte qu’il n’y a pas de monnaie. Même s’il en a », confie Mireille Onana Mauvais état des ventes La rareté des pièces de monnaie freine ainsi le développement de l’économie au Cameroun. Des plaintes enregistrées dans tous les domaines d’activités à savoir le commerce, le transport et bien d’autres. « Je perds les clients ici tous les jours faute de monnaie. Ils sont obligés de repartir. Mes ventes ont chuté », lance Adèle assise derrière son comptoir. « Nous sommes fatigués avec cette histoire de pièces de monnaie. C’est comme ça que les taximen et les conducteurs de moto coupent notre argent. Tu proposes 250 Fcfa, arrivé à destination il prend 300 Fcfa, sous prétexte qu’il n’a plus de monnaie. Même sur la moto, au lieu de 100 Fcfa, ils prennent 150 ou 200 Fcfa », déclare un usager. «Nous dépensons plus que prévu. Nous travaillons dur. Se voir dépossédé de 50 Fcfa ou 100 Fcfa, c’est un problème. Surtout lorsque les situations se répètent. Le gouvernement devrait trouver une solution rapide », explique-t-elle. « C’est vraiment problématique. Il y’a des clients que nous perdons au quotidien à cause de ce problème de monnaie. Il arrive que les pièces soient totalement finies dans la caisse », déplore Patrick Tchiegue. Doriane travaille à la pharmacie de l’Université au quartier Ngoa-Ekelle. Ses collègues et elle s’indignent de la situation qui ne change pas. « Ça va de mal en pis. Il est impossible pour nous de rembourser un client ». Elle déplore un autre problème : « Nous avons des tas de petite monnaie, des pièces de 5 et de 10 francs. Mais aucun client n’accepte de les prendre. Plusieurs s’en vont frustrés faute de monnaie ». Pour remédier à celte situation, certains commerciaux fonctionnent avec le système de »Mobile money ». Dans des coins à forte activité économique, des clients par manque de pièces de monnaie peuvent payer par Orange ou Mtn Mobile money. « Nous avons adopté le paiement électronique depuis que cette situation a atteint son apogée. Nos clients peuvent payer-leurs factures par Om ou par Momo », renseigne Pascal Billim, chef de centre de la boulangerie ‘The Best », zone Ngoa-Ekelle. Paul Mambou, détenteur d’un service bureautique au campus de l’Université de Yaoundé I a trouvé une alternative qui lui convient au mieux. « Je me plains moins aujourd’hui car lorsque j’ai des billets de banque, je me dirige vers la Beac et je demande un échange pour la même valeur en pièces de monnaie », souligne-t-il. Ce dernier affirme l’avoir déjà fait auparavant. Cette expérience personnelle ne peut pas être démultipliée. La Beac a effectué des livraisons de pièces de monnaie en fin d’année dernière. Mais le Cameroun n’a toujours pas réussi à endiguer le phénomène d’exportation de ces pièces vers des pays tiers.


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