Le concept de contrat social est un élément fondateur de la théorie politique euro-américaine depuis le XVIIe siècle et reste pertinent dans les débats contemporains sur les origines et le développement de l’État moderne, la démocratie et les principes de justice sociale. Nous n’allons pas nous attarder sur les divers courants de pensée dans la lignée de Platon, à Hobbes, à Locke, Rousseau, Kant etc. De manière lapidaire, le. contrat social met en évidence les processus par lesquels le citoyen dans la communauté qu’est la République, adhère, explicitement ou tacitement, à l’autorité de l’État, limitant ainsi certaines de ses libertés, en échange de l’obligation par l’Etat de garantir au citoyen la protection de ses droits humains universels, sa sécurité et la fourniture optimale des biens et services publics. Pour ce faire, l’Etat a des fonctions dont certaines sont dites régaliennes (qui renvoie à la notion de souveraineté) notamment, faire usage de la violence légitime, prélever des ressources (impôts), réguler l’économie et la société, redistribuer les ressources (fonction redistributive), œuvrer à l’édification de l identité nationale, et maintenir la cohésion interne. Le contrat social a pour base la justice en tant que vertu fondamentale d’une société. Ainsi défini, le contrat social n’échappe pas au risque de fissure voire de rupture si l’une des parties ne tient pas à ses obligations ou se sent flouée dans ses attentes légitimes. De cette fissure nait des frustrations de toutes sortes dont les manifestations politiques, économiques et sociales pourraient avoir des conséquences dommageables pour l’ensemble de la communauté. Au Cameroun, le bouillonnement magmatique qui a cours depuis quelques années déjà, confine à s’y méprendre à une fissure (pour ne pas en dire plus) du contrat social qui forme le socle de la relation entre les citoyens et les gouvernants. De manière lente mais inexorable, le navire prend l’eau au point où. d’aucuns ont parlé d’un bateau dans la tourmente. Au plan politique, l’intention démocratique des années 90 (pluralisme politique, liberté d’association, liberté d’expression) a constitué une avancée indéniable et a charrié des espoirs légitimes. Trente ans après, la moisson ne semble pas tenir la promesse, des fleurs. Pis, à la place de l’affermissement de la cohésion nationale, on assiste plutôt à des replis identitaires dont la manifestation la plus extrême est la sale guerre dans les Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, une guerre née d’une velléité séparatiste elle-même. traduisant cette fois-là, non pas une fissure, mais, une véritable rupture du contrat social. Dans le même registre et à un degré .moindre (pour l’instant), les voix qui se font entendre sans plus la moindre sourdine, dans la partie septentrionale du pays participent de la manifestation d’un certain mal-être longtemps contenu. Qu’il s’agisse du mouvement (récent) «10 millions de Nordistes», du mémorandum du Grand-Nord ou encore de la sortie très médiatisée d une élite de eette région membre influent du Parti au pouvoir, sur les statistiques et le poids électoral du Grand-Nord, on a l’impression sinon d’une pétaudière, du moins de l’avant-veille d’un assaut. Mais duquel ? Manifestement, les liens se desserrent et certains ne se cachent plus pour évoquer les plaies non refermées (!) de l’après-putsch du 6 avril 1984. Au-delà des manifestations visibles et identifiables, la scène politique foisonne de toutes sortes de rumeurs nauséeuses savamment distillées et dont la persistance augure d’uh délitement certain. Des médias sont mis à contribution et aucune épithète n’est trop forte soit pour diffamer soit pour encenser. De nombreuses voix hélas inaudibles crient à l’horreur pour dénoncer ce qui pourrait s’apparenter à la tragédie rwandaise si on n’y prend garde. Désormais, tous les coups sont permis. Quand les garde-fous sont démantelés, les fous peuvent circuler allègrement. La haine de l’autre se crie sur la place publique et la crise d’identité que décrit la romancière Hemley Boum (Jeune Afrique n° 3090) n’est autre chose qu’une forme de manifestation patente de la fissure du contrat social au Cameroun. Au plan économique, le Cameroun porte bien son qualificatif de «Country of missed opportunities» (pays des opportunités manquées). Les choix stratégiques dont certains sont à tout le moins hasardeux notamment en ce qui concerne l’allocation de ressources, se perpétuent grâce à «l’ingénierie» de ceux qui incarnent l’Etat. D’aucuns parleraient de pusillanimité et tergiversation quand il est urgent d’agir. La récente faillite (non avouée) de la compagnie aérienne Camair-Co est une parfaite illustration de l’impéritie du pilotage économique. Ceux qui ont poussé à l’enfantement de ce mort-né découvrent sur le tard qu’une ouverture du capital au secteur privé était dès le départ la seule option pouvant permettre d’envisager l’aventure. Véritable tonneau de danaïdes, on ne saura jamais ce que ce monstre aura coûté à la collectivité. En tirera-t-on les leçons afin d’assainir le portefeuille des entreprises publiques-dont certaines sont de véritables boulets à l’instar de Camtel qui non seulement est une charge pour le contribuable mais également un facteur limitant à la productivité et à la compétitivité de l’économie camerounaise. Indéniablement, l’économie est au cœur du contrat social dans ce sens que les ressources dont a besoin l’Etat pour faire face à ses obligations vis-à-vis de la collectivité sont générées essentiellement par l’activité économique. Les valeurs ajoutées dont la somme constitue le principal agrégat macroéconomique qu’est le Produit Intérieur Brut (PIB) sont déclinées en salaires (emplois), impôts, consommation intermédiaires et autres. C’est tout l’enjeu de l’importance du secteur privé dans une économie car c’est lui qui crée de la valeur ajoutée dont entre autres l’emploi, principal vecteur de lutte contre la pauvreté et d’insertion sociale. Or au Cameroun, le marché du travail semble sclérosé et caractérisé par des faillances structurelles notamment l’inadéquation entre l’offre et la demande. La population camerounaise est constituée à 65% environ de jeunes de moins de 35 ans alors que le taux de sous-emploi des jeunes de 15-34 ans est de l’ordre de 70%. Quel espoir d’un emploi décent pour ces jeunes dont le nombre croissant, alimenté par des diplômés d’universités dont les amphithéâtres débordent. A cet effet, l’actualité nous offre un indicateur pertinent. Plus de 150.000 jeunes viennent de passer les épreuves du Baccalauréat (toutes filières confondues). Si l’on anticipe un taux de réussite de 55% environ (il était de 52% en 2019), ce sont plus de 82.000 nouveaux postulants qui frapperont aux portes de l’enseignement supérieur à la prochaine rentrée académique. La solution n’est certainement pas ces opérations de charme (très controversées) de 2000 doctorants ou de 3000 instituteurs recrutés alors même que les besoins n’ont pas été préalablement identifiés. Bien plus, il est de notoriété publique que l’entrée dans les grandes écoles est devenue censitaire et se négocie sur un marché nolf où le cens d’admission se chiffre en millions Fcfa. Une telle pratique devenue la norme ne peut qu’exacerber les frustrations, renforcer le sentiment d’iniquité et mettre à mal le contrat social. Le défi majeur reste et demeure celui de la redynamisation du secteur privé créateur d’emplois. Un cadre de concertation Gouvernement/secteur privé sous le label ((Cameroon Business Forum -CBF» avait été créé en 2006 avec l’assistance technique de IFC (Société Financière Internationale) pour œuvrer à l’amélioration du climat des affaires et ce, calqué sur le modèle vietnamien. Ses sessions annuelles placées sous la présidence du Premier Ministre se suivent et se ressemblent: Recommandations (sans mesure d’application contraignante), photo de famille et dîner de clôture. Le CBF né sur les cendres du bien lointain Comité Interministériel Elargi au Secteur Privé, avait été salué par tous les partenaires sociaux. Mais c’était oublier que les institutions du Cameroun ne sont pas celles du Vietnam. Dans un bestseller devenu une référence et au titre révélateur «Why Nations Fail» (Pourquoi les nations échouent), Daron Acemoglu et James Robinson démontrent que le facteur déterminant de la réussite économique d’une nation ce sont ses institutions. Les institutions extractives portent les vecteurs de l’échec alors que les institutions inclusives, comme celles du Vietnam, garantissent la réussite .économique. Au-delà des agrégats macroéconomiques, cette réussite se mesure par les millions de citoyens sortis des ornières de la pauvreté pour embrasser la prospérité. Les institutions économiques inclusives créent des marchés inclusifs, qui non seulement ’offrent la liberté de poursuivre les vocations qui correspondent le mieux aux talents, mais créent également des conditions équitables’ pour que ces talents se déploient « dans toute leur plénitude. A contrario, les institutions politiques extractives concentrent le pouvoir entre les mains d’une petite élite et imposent peu de limites à l’exercice de ce pouvoir. Les institutions économiques sont «alors structurées par cette élite pour extraire des -ressources du reste de la société. C’est tout l’enjeu du contrat social. On pourrait en dire davantage notamment en ce qui concerne les secteurs aussi névralgiques que la Santé, (‘Education, la Justice et autres dont les déficiences’ chaque jour décriées sont des manifestations de la fissure du contrat social. En 1997, Christian Penda Ekoka mettait en garde contre la fragilité de la paix au Cameroun. « La paix est préservée au Cameroun (…) pour combien de temps ? C’est la question que semblent se poser beaucoup dé personnes, tant elle semble fragile dans un contexte précaire. La seule condition pour préserver la paix de maniéré durable reste de créer des conditions tout aussi durables de prospérité et d’équité dans notre pays. C’est le principal pari du siècle prochain. Il est économique et technologique » Quand on a fini de dire cela, on a le choix entre deux options : Soit lever les yeux vers le ciel pour implorer la miséricorde de Dieu, soit tourné le regard vers ceux qui nous gouvernent et qui se prélassent sur le pont du Titanic alors que le paquebot a déjà heurté l’iceberg. *Haut fonctionnaire de la Banque mondiale Citoyen camerounais
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