Pendant 10 mois, un prêtre inculpé de «corruption de la jeunesse», «outrage à la pudeur en présence d’une personne mineure de 16 à 21 ans suivi de viol et contamination de maladie contagieuse» a été interdit de visite et de soutien à la prison de Bertoua, avant de décéder. Sa famille biologique bataille pour récupérer le corps mais l’évêque s’y oppose.
Lire ici le récit de nos confrères du journal Kalara :
Est-ce à Ebomzout, village de la Lékié dans la région du Centre, ou alors à Bertoua, sur le site de l’archidiocèse éponyme que seront organisées les cérémonies funéraires de l’Abbé Emilien Messina, prêtre de l’Eglise catholique romaine décédé le 15 mars 2023 à l’Hôpital régional de Bertoua ? En temps normal, cette question aurait été saugrenue, les familles biologique et spirituelle du prête ayant naturellement parlé le même langage pour ses aurevoirs diligentés au sein de sa congrégation religieuse.
Et pourtant, une bataille judiciaire oppose devant le président du Tribunal de première instance (TPI) de Bertoua Mme Zoba épouse Olomo, la mère du prêtre disparu, à l’archevêque de Bartoua pour le contrôle de la dépouille mortelle qui se trouve à la morgue de l’Hôpital régional de Bertoua.
En fait, le prélat décédé aurait confié, dans ses dernières volontés, son désir d’être porté en terre dans son village natal et par les soins de sa famille. Mais Monseigneur Joseph Atanga, patron de l’archidiocèse de Bertoua dont dépendait le défunt, est décidé de l’enterrer selon les usages de l’Eglise catholique romaine. C’est ce qui justifie l’affrontement judiciaire qui est rendue ce 2 mai 2023 à l’étape des réquisitions du ministère public.
Pour comprendre ce qui fonde le combat inhabituel que sa famille a engagé contre l’Archidiocèse de Bertoua, il est important de cerner comment le prélat disparu a vécu ses derniers moments en vie. C’est une procédure judiciaire qui est à l’origine du divorce entre l’Abbé Emilien Messina et son évêque.
Manifestement victime d’une conspiration, le prêtre est la cible d’une plainte avec constitution de partie civile d’une jeune fille et son père qui l’accusent d’avoir entretenu des relations coupables avec celle qu’on présente comme une mineure. L’abbé Messina est accusé d’avoir violé la fille et de lui avoir transmis le VIH/Sida. Une plainte a été déposée devant un juge d’instruction du Tribunal de grande instance (TGI) du Lom et Djerem. Et dès la première convocation du prêtre, il est inculpé «corruption de la jeunesse», «outrage à la pudeur en présence d’une personne mineure de 16 à 21 ans suivi de viol et contamination de maladie contagieuse».
Face à cette épreuve, l’abbé nie les faits et s’attend à bénéficier du soutien de son évêque et de la communauté de ses frères du sacerdoce de même que de la communauté des croyants.
Sa surprise sera de découvrir que non seulement l’archidiocèse ne lui apporte aucune attention, mais aussi Mgr Joseph Atanga prend le soin de lui interdire de dire la messe au sein du pénitencier. Les chrétiens sont même interdits de lui rendre visite. Ça ressemble à une condamnation avant l’heure, un coup au moral qui va affaiblir psychologiquement le prêtre.
Faux acte
Pourtant, dès le jour de son incarcération, le prêtre subit rapidement un examen médical qui montre qu’il n’est pas porteur du VIH. Il ne peut donc pas transmettre une maladie dont il ne souffre pas. L’abbé a dans son téléphone des messages de celle qu’on présente comme sa victime, à travers lesquels cette dernière lui ferait le joli cœur.
La date de réception des messages jette au moins un doute sur la version des faits des plaignants. Mais ces évidences n’infléchissent ni la position du juge d’instruction qui l’a placé en détention provisoire pour une période initiale de six mois, ni celle de l’archevêque qui serait pour que son collaborateur soit sanctionné de façon exemplaire.
Le prêtre continue cependant de mener des investigations pour démontrer au moins la mauvaise foi de ceux qui le poursuivent devant la justice. La descente d’un huissier de justice commis par lui dans le bureau d’état civil de la Mairie de Yaoundé 1, où aurait été établi l’acte de naissance de la victime supposée du prêtre met en évidence que le document présenté à la justice ou soutien de la plainte est dépourvu de souche. La mairie déclare que cet acte de naissance y est inconnu. Des recherches menées dans le service de l’Hôpital central de Yaoundé où la «mineure» serait prise en charge montrent qu’elle y est aussi inconnue.
En tout cas sous son identité officielle… Le centre de santé de Messamendongo à Yaoundé où elle aurait été diagnostiquée positive au VIH est tout simplement inconnu du fichier officiel des établissements hospitaliers et introuvable. Tout porte à croire que l’abbé est victime d’une vraie cabale.
Alors que toutes ces découvertes sont de nature à provoquer l’assouplissement de l’attitude de la justice à l’égard du prêtre, c’est le contraire qui se produit. Sa demande de remise en liberté est rejetée. L’archidiocèse ne se résout pas jusque-là à envoyer son avocat assister le berger. Il ne propose même pas sa caution en appui du désir du mis en cause de retrouver la liberté en attendant l’issue de la procédure judiciaire.
La dépression est incontournable pour le prêtre qui ne va pas tarder à faire un accident vasculaire. Lorsqu’il sent la mort proche, l’Abbé confie à ses proches sa volonté d’être inhumé par sa famille biologique dans son village et non dans le cimetière de l’Eglise comme cela se ferait d’ordinaire. Le prêtre va malheureusement mourir sur ces entrefaites après 10 mois de détention.
Peu avant le décès du prêtre, ses proches ont initié une correspondance à l’attention du chef de l’Etat dans l’intention d’appeler son intervention. Ils vont y révéler tous les détails du calvaire du prêtre au point où certains extraits ne peuvent laisser indifférent.
«L’abbé Emilien Messina subit un acharnement quotidien depuis son incarcération. Il lui est demandé par force de rédiger une lettre d’excuse adressée à la fille. Son procès est tenu par l’Archevêque de Bertoua qui pèse de tout son poids sur les juges et demande de ne pas libérer l’abbé Emilien Messina malgré les preuves ressassées. Le procès de l’abbé Emilien Messina n’est pas judiciaire. Un prêtre est en train d’être tué à Bertoua et son évêque a même interdit à l’avocat du diocèse de défendre son affaire et l’église garde silence. L’abbé Émilien Messina est abandonné à lui-même, il est en ce moment en train de faire un AVC. C’est un scandale à Bertoua. C’est une honte pour l’Eglise catholique».
Aides tardives
Lorsque le prêtre décède avec son statut de détenu, le régisseur de la prison de Bertoua va décider de mettre le corps à la disposition de l’archidiocèse de Bertoua par correspondance datée du 23 mars.
Quand sa famille nucléaire l’apprend, elle fait sommer l’archevêque par exploit d’huissier de justice du 13 avril 2023 de procéder à la restitution de ce corps. C’est un niet. Une procédure en vue de sceller le corps en attendant l’issue des pourparlers entre les familles spirituelle et biologique est engagée par cette dernière. Le président du TPI de Bertoua, saisi comme juge des requêtes, n’y trouve aucun intérêt. Cette requête est rejetée le 4 avril 2023.
Mme Zoba ne se décourage pas. Elle obtient l’autorisation de saisir le juge des référés pour poursuivre la réclamation du corps de son fils en vue de son inhumation à Ebomzout. Le procès commence le 24 avril. Et lors des débats, la mère réitère les reproches faits à l’archevêque. Ce dernier a constitué un avocat qui vient défendre les intérêts de l’Eglise. Maître Nkoa Kono, puisqu’il s’agit de lui, va stigmatiser ce qu’il appelle «une ingratitude manifeste (de la famille nucléaire de l’abbé Messina) envers l’Eglise catholique toute entière et toute la communauté chrétienne de l’Archidiocèse de Bertoua». Pour lui, «le défunt avait bel et bien été assisté tant financièrement que moralement par ses confrères de sacerdoce».
Et pour soutenir son propos, l’avocat présente au juge «la liste des contributions financières à son endroit mais aussi les sommes d’argent transférées via orange money par l’Abbé Noa Nteme, vicaire de la paroisse Holy Gost, à l’Abbé Ayissi Mamert, petit frère du défunt».
Il insiste : «ces sommes d’argent étaient destinées pour le soutien financier et moral du défunt et non pour les poches de l’Abbé Ayissi Mamert». L’argent en question est estimé à «plus d’un million de francs». La famille persiste. Pour elle, pendant les 10 mois de la détention du prêtre, il n’a reçu aucun radis de l’Eglise. Les sommes évoquées par le conseil de l’archevêque sont le fruit d’une quête organisée par les confrères du disparu quand ce dernier avait été admis en soin à l’hôpital. Pas avant.
De toutes les façons, Maître Nkoa Kono va évoquer diverses dispositions légales, notamment les canons 265 et 266 (lire encadré) qui militeraient pour que les obsèques du disparu soient organisées par l’archidiocèse de Bertoua. Une chose est sûre : le traitement reçu par l’abbé Emilien Messina de la part de son église est vivement critiqué. L’Abbe Jean Armel Bissi, prêtre camerounais et enseignant de philosophie, ne passe pas par quatre chemins pour s’insurger contre la brimade infligée à son confrère.
«Vous ne pouvez pas avoir un confrère à qui l’évêque interdit des visites en prison et vous vous limitez à collecter des miettes d’argent pour lui. Quand êtes-vous allés dire à l’Evêque que vous vous désolidarisez de lui dans la brimade qu’il fait subir à l’abbé Émilien Messina ? Quand avez-vous essayé de faire entendre raison à l’Évêque ? Comment croyiez-vous que lui envoyer de l’argent de façon sporadique était pour lui une aide décisive ? Vous êtes-vous organisés pour qu’il ait un plat de nourriture en prison chaque jour ainsi que de l’eau à boire ? Combien étiez-vous nombreux à lui rendre visite en prison chaque jour ? Apprenez à dénoncer les injustices qui accablent les autres dans le clergé», a-t-il dit dans un texte plus complet partagé sur les réseaux sociaux.
Quelle que soit l’issue de la procédure, les valeurs de l’Eglise catholique ne manqueront pas d’être chahutées par cette dispute inhabituelle.