[Politique]Lazare Atou, l’huissier au cœur du conflit entre Laurent Esso et Ferdinand Ngoh Ngoh

À l’origine des ennuis judiciaires du patron du port de Douala, le fondateur du cabinet Atou est aussi au centre des luttes d’influence entre le ministre de la Justice et le secrétaire général de la présidence. Explications. Le 1er septembre, Rose Mbah Acha, la ministre déléguée à la présidence chargée du Contrôle supérieur de l’État, a annoncé qu’elle lancerait « une mission spéciale de contrôle et de vérification » de la gestion du cabinet Atou. Celle-ci portera sur les « actifs résiduels » de trois grandes entreprises publiques liquidées dans les années 1990 : l’Office national de commercialisation des produits de base (ONCPB), l’Office national des ports du Cameroun (ONPC) et la Régie nationale des chemins de fer du Cameroun (RNCFC). Toutes ont disparu en abandonnant un patrimoine constitué d’immeubles bâtis et non bâtis au Cameroun et en France. Un patrimoine estimé à plus de 104 milliards de francs CFA (plus de 158 millions d’euros) et géré depuis deux décennies par le cabinet fondé par Lazare Atou. Cet homme est inconnu du grand public, mais si puissant qu’il tient tête au secrétaire général de la présidence (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh. L’offensive de Ngoh Ngoh Cet audit n’est en effet pas le premier du genre. Une équipe du même ministère, tenue par cette magistrate proche du SGPR, a déjà travaillé pendant six années consécutives sur le cabinet Atou, tentant d’en contrôler l’activité. Son rapport a été adressé au Tribunal criminel spécial (TCS), où il est en cours d’instruction. Lazare Atou affirme déjà qu’il est « truffé d’accusations mensongères ». Toujours à l’offensive, Ngoh Ngoh a également saisi la primature, le 2 juin dernier, pour qu’une structure indépendante audite le même cabinet. Dans son courrier au chef du gouvernement, le SGPR a rappelé que le président Paul Biya a demandé au ministre des Finances, Louis-Paul Motaze, de mettre fin « sans délai » au mandat de liquidateur qui avait été confié à Atou. Deux des prédécesseurs de Motaze, Polycarpe Abah Abah et Emmanuel Essimi Menye, se sont eux aussi cassé les dents sur ce dossier, tout comme plusieurs ministres des Domaines et des Affaires foncières. En 2007, Lazare Atou a même effectué une brève garde à vue à la suite d’une plainte d’Abah Abah. Soupçonné d’avoir vendu des biens dont il était censé assurer la sauvegarde, le liquidateur a été jeté en cellule un vendredi à 15 heures. Sur ordre du ministère de la Justice, il sera finalement libéré à 22 heures. Mais comment cet huissier en attente de charge parvient-il à résister à ces attaques répétées ? Garde à vue Son parcours ne le prédestinait pas à exercer une telle influence. Pourtant, quand ses confrères survivent dans la précarité, lui va vite et voit loin. Il s’est d’abord proposé comme « notificateur » auprès de la commission de liquidation mise en place pour débarrasser l’État de ses plus gros canards boiteux. Le processus terminé, le « garçon de course » s’est retrouvé sans emploi. Mais la question du patrimoine de ces entreprises, laissé à l’abandon, reste à régler. Atou propose alors d’en assurer la surveillance et la sauvegarde. De commis, il se retrouve ainsi titulaire d’un mandat aux pouvoirs proches de celui d’un liquidateur. Il fonde alors un cabinet d’expertise comptable et d’audit, même si son nom n’apparaît pas sur le tableau de l’ordre national des experts comptables et même si ses activités s’apparentent davantage à celles d’un gestionnaire de patrimoine. Il se bat devant les tribunaux pour récupérer les biens immobiliers des entreprises concernées, que les ministres des Domaines et des Affaires foncières successifs ont tentés d’aliéner. Aujourd’hui, on le dit proche du tout-puissant ministre de la Justice, Laurent Esso. Quant à Louis-Paul Motaze, il veille à ne pas marcher sur ses plates-bandes… Match nul Fort de ses soutiens, Atou croise aujourd’hui le fer avec Cyrus Ngo’o, le directeur du Port autonome de Douala (PAD), qu’il a dénoncé auprès du TCS. Ce dernier, un familier de Ferdinand Ngoh Ngoh, a été auditionné le 18 août dernier comme témoin dans l’affaire Porsec SA. Il s’agit d’un marché public spécial portant sur la sécurisation du périmètre et du contrôle des accès du port de Douala attribué par le SGPR à cette entreprise – inconnue jusque-là – en dehors de tout appel d’offres. Initialement financé à hauteur de 25 milliards de F CFA, l’ouvrage, qui devait être livré en avril 2020, n’est toujours pas finalisé. Plus grave, d’avenant en avenant, le coût du marché s’élève désormais à une cinquantaine de milliards de F CFA. Mis sous pression par les banques exigeant des garanties supplémentaires, le PAD a donc tenté de récupérer les possessions immobilières de l’ONPC, dont le patrimoine résiduel est géré par l’intrépide Atou. Ce dernier s’est opposé à cette aliénation, notamment par la dénonciation devant le TCS du contrat Porsec SA. Mais ceux qui ont prédit la prison à Cyrus Ngo’o vont devoir attendre. De toute évidence, Paul Biya a sifflé la fin de la partie, arbitrant en faveur d’un match nul entre le ministre de la Justice et le secrétaire général de la présidence.


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