La laïcité de l’Etat indique de séparer mais alors de bien séparer le temporel et le spirituel, même si le rôle social des religions doit être préservé. L’équation devient de plus en plus difficile à résoudre au Cameroun à cause des prélats qui débordent allègrement de leur champ de compétence. Sans pour autant briller eux-mêmes par l’exemple. Dans le préambule de la Constitution camerounaise, il est clairement stipulé que «le Peuple camerounais, proclame que l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaltérables et sacrés (…) Nul ne peut être inquiété en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances en matière religieuse, philosophique ou politique, sous réserve du respect de l’ordre public et des mœurs. L’Etat est laïc ; la neutralité et l’indépendance de toutes les religions sont garanties. La liberté et le libre exercice de sa pratique sont garantis.». La laïcité de l’Etat est ainsi clairement définie et codifié. C’est le principe de l’exercice de tous les cultes obéissant à l’ordre public et aux bonnes moeurs. L’Etat n’est ni religieux, ni ecclésiastique, Le fait religieux est extérieur à l’Etat qui adopte à l’égard des Eglises et des religions, une attitude d’impartialité et de neutralité. Ça, c’est sur le papier. Sur le terrain, les choses ne se passent pas toujours ainsi comme l’a constaté le Pr Bernard Momo dans l’une de ses études sur la question. «En fait, il apparait à l’analyse que la réalité sociopolitique a profondément édulcoré le principe de la laïcité de l’Etat au Cameroun. L’Etat a pris conscience du rôle des religions non seulement dans la formation morale des citoyens, mais aussi dans le développement tout court Par l’investissement qu’elles réalisent dans le pays, les religions déplacent d’au moins d’une borne, la neutralité de l’Etat à leur égard. C’est ce qui explique la collaboration entre les deux pouvoirs :laïc et religieux, collaboration d’autant plus nécessaire que la paix sociale en dépend dans une certaine mesure. La mitoyenneté entre eux est ainsi très fluette et fragile. Et les religions, dans leur ambition souvent inavouée, agissent en véritables forces politiques; par conséquent, elles ne peuvent être écartées de l’entreprise de la construction de l’Etat Dès lors, il n’y a plus une sphère réservée à tel ou tel pouvoir.». Il s’avère donc que le spirituel n’arrive pas toujours à se tenir à sa place et intervient de plus en plus et de manière intempestive dans le domaine du temporel. A la fin, la laïcité embarrasse plus qu’elle ne sert et déchaîne plutôt des passions de part et d’autre. En fait les interprétations de la laïcité dépendent des intérêts. On peut aussi relever une forte collusion de l’Etat avec les associations chrétiennes et islamiques. L’application de la laïcité est même sujette à caution. La laïcité de séparation prônée par la Loi fondamentale est plutôt remplacée par la laïcité de coopération. Et elle sera de plus en plus mise à rude épreuve. La nouvelle donne La loi du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association a largement contribué en quantité à l’apparition sur la scène de nouveaux mouvements religieux ou alors l’officialisation de certains d’entre eux, jusque-là interdits d’exercice. On y retrouve chez les chrétiens, beaucoup d’églises dites «réveillées» qui ont envahi toutes les villes du Cameroun. De même, côté musulman, beaucoup de factions et de confréries diverses. Ces différentes congrégations constituent de véritables sectes avec à leurs têtes, des prophètes, incontournables gourous à qui leurs fidèles obéissent aveuglément. Elles sont devenues des groupes de lobbying politique. Et d’ailleurs, beaucoup de pontes du régime et de l’opposition les fréquentent assidûment. Ils s’en servent comme du bétail politique et électoral. Les mots d’ordre de vote et autres sont suivis à la lettre. «Dans le Christianisme comme dans l’islamisme, ces nouvelles tendances religieuses sont le plus souvent des mouvements de réforme, de reconversion et de remoralisation de la communauté culturelle. Ils paraissent éloignés de la sphère politique mais y puisent cependant leur force dans le vide idéologique du champ politique au Cameroun», confirme Maud Lasseur dans un article publié dans la revue «Afrique contemporaine» en 2005. Ces religions se présentent désormais comme de véritables forces politiques. Elles véhiculent parfois une idéologie souvent différente de celle de l’Etat. Cas d’une partie du prélat catholique actuellement qui ne cache pas son affection aux opposants et aux sécessionnistes. Ces religions aussi drainent d’importantes foules de fidèles et sont en plus, économiquement puissantes. L’Eglise catholique de par le monde, en est une parfaite illustration. L’Etat est obligé d’en tenir compte et de composer avec, à son corps défendant. Le poids de plus en plus grandissant et envahissant de ces religions rend davantage floue la perception de la laïcité de l’Etat au Cameroun. Sans oublier que l’appartenance du chef de l’Etat à telle ou telle autre obédience religieuse place cette dernière, même involontairement, en position de privilégiée. Les deux chefs d’Etat qu’a connu le Cameroun jusque-là, se sont bien gardés de tomber dans ce piège, heureusement. Encore que certaines religions et certains religieux de certaines origines, ne cachent pas leurs visées expansionnistes. Situation vécue au sein de l’Eglise catholique où la fracture est plus que franche. D’où les sons de cloche dissonants et discordants. Une partie est ainsi instrumentalisée et alignée contre l’Etat et son chef alors qu’une autre essaie encore tant bien que mal de respecter la laïcité de l’Etat. Jusqu’où et jusqu’à quand ? Le problème de la laïcité au Cameroun se pose donc avec beaucoup d’acuité. Si d’un côté, chacun est libre de pratiquer la religion de son choix comme le stipule la Constitution, la cloison devient de moins en moins étanche avec les incursions de plus en plus récurrentes des hommes d’Eglise sur le champ temporel. Mais aussi l’utilisation de l’Eglise par l’Etat pour l’accomplissement de ses missions politiques et régaliennes. L’Etat a compris ce qu’il pouvait tirer des religions dans la formation des citoyens et dans le développement du pays. Les deux pouvoirs ne peuvent donc que collaborer et plus souvent s’associer. Les religions participant à la construction de l’Etat, il n’y a plus de cloison, plus de sphère réservée à tel ou tel pouvoir. A cet effet, cette affirmation de Mgr Albert Ndongmo, ancien évêque de Nkongsamba, dans le journal français La Croix du 15 janvier 1963, reprise par le Professeur Bernard Momo à la fin de son étude est édifiante : «L’Etat croit que nous devons prêcher un christianisme désincarné, parler du ciel, des anges, sans toucher les réalités vitales de chaque jour. Or, l’Evangile du Christ n’est pas une théorie, mais une vie. Il s’insère dans toute la vie de l’homme engagé dans la famille, la politique, la profession et le syndicat» Et le Professeur Momo de conclure lui-même par cette question, «Cependant, jusqu’où une religion peut-elle s’engager tant dans l’économie que dans la politique sans violer le principe de la laïcité de l’Etat ?». Et c’est là, tout le problème. Une laïcité qui risque bientôt n’être que de façade, une coquille vide. Linus Pascal Fouda Source : Bernard Momo, in «La laïcité de l’Etat dans l’espace camerounais», Les Cahiers du Droit ; Vol 40, Déc. 1999, pp. 821-847
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