Trois ans après le massacre, les victimes de Ngarbuh attendent toujours un procès
Il y a trois ans, nous avons révélé qu'un horrible massacre avait été commis au Cameroun, dans la région du Nord-Ouest. Les forces gouvernementales et des membres armés de l'ethnie peule ont tué au moins 21 civils, dont 13 enfants et une femme enceinte, le 14 février 2020 dans le village de Ngarbuh. Un survivant, qui a été témoin du meurtre de tous les membres de sa famille, dont sept enfants, nous a confié : " J'ai vu les militaires abattre tous les membres de ma famille un par un alors qu'ils tentaient de s'enfuir. Ils ont d'abord tué notre mère. Puis, ils ont tué les enfants, dont les corps tombaient sur elle ".
Le massacre de Ngarbuh est l'une des pires atrocités commises par les forces de sécurité du Cameroun depuis fin 2016 lorsque la crise a éclaté dans les régions anglophones du pays, où des séparatistes armés cherchent à obtenir l'indépendance pour la minorité anglophone de la population.
Le gouvernement a tout d'abord nié que ses forces de sécurité aient été responsables de la tuerie, et s'est lancé dans une campagne de dénigrementcontre les organisations de défense des droits humains et les médias qui l'avaient révélée. Mais, à la suite de pressions internationales, le président Paul Biya a créé une commission d'enquête le 1er mars 2020. Le gouvernement a alors reconnu que ses forces de sécurité portaient une responsabilité dans le massacre, et a annoncé l'arrestation d'au moins deux militaires et d'un gendarme en juin 2020.
Le procès du massacre de Ngarbuh s'est ouvert le 17 décembre 2020, devant un tribunal militaire à Yaoundé, la capitale du Cameroun. Lorsqu'il a été annoncé, il a été salué comme étant une avancée bienvenue et un cas d'exemple de nature à briser le cycle perpétuel de l'impunité au Cameroun.
Mais depuis lors, peu de progrès ont été accomplis. Le procès, qui devait redémarrer en novembre dernier, est maintenant prévu pour reprendre le 16 février, deux jours après le 3ème anniversaire du massacre. Cette lenteur persistante suscite de graves préoccupations concernant la capacité du système de justice militaire à réellement rendre justice et, si c'est le cas, quand. En outre, le fait que le procès se tienne à Yaoundé, à 450 kilomètres de Ngarbuh, aura pour effet de limiter, voire d'empêcher, l'accès et la participation des familles des victimes et des témoins potentiels.
Le massacre de Ngarbuh n'est pas un événement isolé dans les régions anglophones du Cameroun. Depuis le 14 février 2020, de nombreux civils ont été tués par les forces gouvernementales ou par les séparatistes. Bien que d'autres tueries aient fait l'objet d'enquêtes, la seule constante au fil des ans a été l'absence d'efforts véritables d'établissement des responsabilités pour les violations croissantes des droits humains commises par les deux camps.
La reprise du procès cette semaine offre une nouvelle occasion de démontrer que le système militaire est capable de faire rendre des comptes aux auteurs de ces violations et de signifier aux violateurs potentiels que les crimes de ce type sont pris très au sérieux. Si cette occasion est manquée, le message aux familles des victimes sera que l'armée n'est pas intéressée par la justice.