“La profanation de Hiala : la deuxième mort du Dernier Bamiléké Lettre ouverte d’une fille défigurée à Edouard Akame Mfoumou Christelle Nadia Fotso « Les morts ne réclament ni fleurs ni regrets, mais une part de la vie qu’ils ont donnée, une part dans la vie qu’ils ont vécue.» Virginia Woolf « Quand l’argent empoisonne la mort, il ne sort de la mort que de la colère. On se bat sur les cercueils.» Emile Zola « C’est dans le vide de la pensée que s’inscrit le mal.» Hannah Arendt Monsieur le Ministre, Je vous prie d’excuser le ton dont je vais devoir user pour m’adresser à vous. Il est nécessaire afin de me faire entendre. Je serai directe, sévère en m’efforçant d’être juste. Mon but est d’exprimer une douleur indescriptible que je partage avec des mères, sœurs et frères qui ont perdu un époux et un père. Nous avons tous assistés impuissants à sa deuxième mort. Le 11 mai dernier, Bandjoun a été déshonorée et la mémoire du Patriarche Fotso profanée bien que sa dépouille se trouve dans une morgue parisienne depuis des semaines. Je choisis, Monsieur le Ministre, de vous interpeller publiquement parce que je crois que comme beaucoup, vous ne soupçonnez pas que mon père avait dans sa grande famille, des personnes dont le sens de l’honneur et de l’histoire n’ont pas été corrompus par l’appât du gain et du pouvoir. L’amour sincère que nous éprouvions pour mon père et surtout la fierté pour la vie qu’il a menée nous confèrent une immense responsabilité : respecter ce qu’il a été et ses dernières volontés. Une fois disparu, le Patriarche Fotso voulait enfin être sorti du jeu politique afin que son patriotisme et son panafricanisme soient reconnus sans querelle et expropriation familiales ou partisanes. Tel tout grand serviteur de l’état, mon père souhaitait lorsque Dieu le rappellerait à lui ne plus appartenir uniquement qu’à un parti et retrouver une place amplement méritée : celle d’un digne fils du Cameroun et de l’Afrique qui n’a fait de la politique que pour contribuer au développement de son village, de sa région, de son pays et de son continent après avoir été l’un des premiers capitaines panafricains d’industrie. Monsieur le Ministre, je suis une fille défigurée dont le deuil est d’autant plus éprouvant qu’il est pollué par la dilapidation et l’avilissement de ce qu’il a bâti. Mon père a été forcé de faire une campagne municipale alors qu’il était mourant. Sur son lit d’hôpital, le Patriarche Fotso a tout fait pour retourner dans son pays et mourir à Bandjoun ; il aimait tellement son village et le Cameroun qu’il souhaitait pousser son dernier souffle à Mboh parmi les siens entouré de sa descendance. Il est décédé le 19 mars dernier dans des conditions que je ne décrirai pas par pudeur. Pourtant, alors que son corps ne repose toujours pas sous la terre de nos ancêtres, son parti, le parti présidentiel, sans aider ses veuves et ses enfants à le pleurer et à réparer les dégâts d’une fin de vie immonde, a trahi son combat. Comme beaucoup de ses enfants qui essayent de comprendre comment ses alliés politiques ont pu choisir de le sortir de l’histoire en souillant Bandjoun, je suis presque autant outrée que confuse. Ce que je sais de vous, de votre éducation et de votre parcours m’avait fait croire que vous ne vous seriez jamais permis de cautionner une telle profanation qui est un crachat à la figure pour des veuves et des orphelins qui se demandent pourquoi on a marché sur Bandjoun en enjambant la dépouille du Patriarche Fotso. En plus d’être un diplômé de droit, Monsieur le ministre, vous partagez avec mon père la stature d’homme d’état avant d’être un éminent membre du comité central du parti présidentiel. Certaine que ces qualités vous permettront de me comprendre, je vous exprime mon incomprehension sans faire l’effort de revêtir mes habits de deuil et de diluer mon indignation. Je refuse de penser qu’un homme de lettres ait pu agir avec autant de désinvolture sur des terres ancestrales où est né le Patriarche Fotso sans discuter avec ceux de sa famille qui savent qu’une dépouille est sacrée et qu’il est plus que déshonorant de bafouer sa mémoire en rabaissant son village et la fonction qui a été la sienne pendant presque 24 ans. Je choisis, Monsieur le Ministre, de croire que vous avez été trompé et que le besoin de récompenser enfin mon père pour ce qu’il a fait pour sa commune, sa région et son pays vous a aveuglé. Voulant certainement atténuer et partager notre douleur, vous n’avez pas réalisé que le Patriarche Fotso aurait trouvé humiliant qu’on bâcle sa succession politique en biaisant sa succession familiale au détriment de la majorité de ses veuves et de ses enfants. Pour défendre l’ignominie du 11 mai, vous avez eu, Monsieur le Ministre, des mots qui n’étaient ni à la hauteur du moment ni à celle de votre culture politique en affirmant qu’elle était un devoir de reconnaissance du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais au Patriarche Fotso. Irréfléchis, ils ont été ressentis comme un désaveu pour ceux qui ont assez d’éducation pour comprendre que ce n’est pas seulement Bandjoun qui a été violée mais également son premier maire. Cette exécration imméritée m’incombe l’obligation de vous rappeler que mon père n’était ni un ordinaire militant ni un simple cadre. En dépit de sa puissance, le parti présidentiel n’a pas fait le Patriarche Fotso et ne lui a pas permis d’acquérir une stature nationale et internationale puisqu’elle était sienne avant qu’il ne devienne un de ses membres. C’est plutôt mon père qui a élevé le RDPC dans le Koung Khi en lui permettant de gagner des élections ingagnables dans une région où depuis très longtemps les partis d’opposition sont populaires. Pourtant, à la fin de sa vie, lorsque le Patriarche Fotso a perdu injustement beaucoup de sociétés et surtout une banque, on se serait attendu à ce qu’il fût plus soutenu tellement son patrimoine faisait la fierté de tant de Camerounais et d’Africains. Le Groupe Fotso étant un des fleurons de l’économie et de l’industrie camerounaises, on aurait pu penser que le parti présidentiel aurait incité davantage l’état à le protéger et le défendre lorsqu’il a été attaqué par d’autres états africains qui ont profité de la vieillesse et l’affaiblissement de son fondateur pour ne pas respecter plusieurs de leurs engagements. Le devoir de reconnaissance que le parti présidentiel doit au Patriarche Fotso est de dépolitiser notre deuil et sa succession. Les intérêts partisans doivent être secondaires à l’intérêt national puisqu’un homme d’état n’appartient jamais qu’à un parti mais à toute une nation. Il était donc oui méprisant d’ agir à Bandjoun comme si mon père n’avait que des enfants militants politiques alors que sa nombreuse famille et des milliers d’employés attendaient une assistance pour organiser ses obsèques dignement et de préserver sa mémoire en renforçant autour d’un symbole l’unité nationale fragilisée ces dernières années. Le devoir de reconnaissance que le parti présidentiel doit au Patriarche Fotso est de respecter son amour fou pour Bandjoun. Son ultime acte de maire fut de rétrocéder la mairie qu’il avait construite à l’état. Le glas sonnait pour lui et le sachant, il a donné une fois de plus à sa commune et à son pays parce qu’il n’était pas un vulgaire apparatchik et que son patriotisme a toujours guidé ses choix. Il est donc oui insoutenable que le 11 mai dernier alors que mon père n’a même pas encore de sépulture que son parti ait choisi d’assurer que quelques de ses enfants aient un avenir politique au détriment des autres membres d’une famille nombreuse et de tout un royaume. Le pire affront possible a été fait au Patriarche Fotso ce jour-là puisqu’il a été dé-Bandjouniser et dé-bamilékiser en mettant maladroitement et précipitamment l’accent sur une succession politique sans même l’avoir pleuré et enterré. Monsieur le Ministre, au nom de mon père et de sa mémoire offensée, la fille que je suis vous demande humblement de vous souvenir que le devoir de reconnaissance et la raison d’état sont gratuits et doivent servir plutôt que desservir le Patriarche Fotso. Ne pas avoir cherché à savoir vous a conduit à cette abomination du 11 mai qu’il est encore temps de corriger. Comme mon père l’avait toujours fait et l’aurait voulu, il serait souhaitable que l’argent qui aurait été dépensé à des fins électorales serve les populations locales en élevant Bandjoun. Je vous demande, Monsieur le Ministre, de ne plus politiser une succession familiale et de ne pas entacher d’illégitimité l’après-Fotso. Monsieur le Ministre, vous avez également perdu un être cher qui a marqué l’histoire de notre pays. En effet, l’année dernière, votre frère, le très regretté Foumane Akame décédait. Je ne doute donc pas un seul instant que vous savez combien le deuil d’un personnage public est pesant et compliqué. Vous reconnaîtrez que vous auriez été humilié si on avait grippé la fin de votre feu frère en piétinant votre village Ndonkol et en permettant aux intérêts politiques pourtant insignifiants comparés à ses longues années au service de l’état de prendre le dessus sur ceux des siens. Vous n’auriez pas souhaité à Foumane Akame ce qui arrive à Fotso Victor. Le frère exemplaire que vous avez été n’aurait jamais accepté qu’ un parti fusse-t-il celui de notre président bafoue vos traditions, votre culture et votre histoire sur vos terres. C’est pour cette raison que je suis certaine que réalisant l’humiliation que la grande famille Fotso a subi, vous tiendrez à la réparer non pas par sentimentalisme mais au nom d’une valeur qui liait Foumane Akame et Fotso Victor : un dévouement et une fidélité absolus à notre pays. Tôt ou tard, Monsieur le Ministre, tous les êtres humains doivent redevenir poussière. Lorsque votre tour viendra, le plus tard possible je l’espère, je vous souhaite de ne pas avoir sur la conscience la profanation de la mémoire du Patriarche Fotso. En effet, sans qu’aucun de ses membres ne se soit incliné devant sa dépouille, ne se soit préoccupé d’une famille abandonnée et d’un patrimoine assiégé, le parti présidentiel a occulté le respect dû aux morts en oubliant que si mon père avait fait de lui le premier du Koung Khi c’était parce qu’il incarnait la fierté de tout un peuple sur lequel il s’est appuyé pour durer. Je ne vous demande, Monsieur le Ministre, que de permettre à mon père de rejoindre paisiblement d’autres dignes fils d’Afrique dans son Panthéon en reconnaissant que son village, son pays et son continent étaient plus importants pour lui que son parti. Ce que le parti présidentiel doit à mon père et à sa famille, c’est de respecter ses dernières volontés en dépolitisant sa mémoire pour nous aider à préserver son patrimoine et construire Bandjoun en rappelant ainsi que le Patriarche Fotso était avant tout un mythique industriel et un homme du peuple !”
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