Fridolin nke ‹‹ nul ne peut vivre avec ses diablotins ››

Dans le récit qui va suivre, le philosophe jette un autre regard critique sur la société camerounaise ces derniers jours. Lire l’intégralité de sa longue tribune. Samedi dernier, je me suis rendu à Lembe, dans la Haute-Sanaga, au cœur du pays Yézoum, dont est originaire Paul BIYA, qui est, en principe, notre Président à tous. Nous étions réunis, tous ensemble, sous une même tente militaire. Du beau monde : le petit-frère au Président, qui m’a énervé – je vous expliquerai en quoi, et ne prenez jamais mes déclarations au premier degré, comme le feraient des esprits superficiels, – des ministres, les DGs, les députés, des comédiens, des malchanceux, des assassins, des égorgeurs d’avenirs juvéniles, des asticots et une remarquable mouche, moi ! Je dois d’abord vous dire ce que je faisais en compagnie de ces gens-là (I). Je ne manquerai pas de préciser comment Pierre Meba, le petit-frère du Christ national m’a énervé (II). Après cette précision, je dévoilerai les mésaventures des diablotins au pouvoir auxquelles j’ai assisté (III). À partir de cette expérience, j’exposerai le mensonge de l’État westphalien tropical, une malicieuse théorie avancée par les idéologues du Renouveau qui indique qu’ils n’ont plus le scrupule de la honte (IV). Je terminerai par la systématisation des péchés de l’État (V). I/ Qu’est-ce que je faisais en compagnie de ces gens-là ? Ne me demandez surtout pas ce que je faisais là, en compagnie des ministres Jacques Fame Ndongo, Pierre Ismael Bidoug Kpwatt, Gaston Eloundou Essomba, Jean de Dieu Momo, du DGSN, Martin Mbarga Nguelé, du DG Bertrand Soumbou Angoula, du DG David Nkotto Emane, de l’honorable Hilarion Eton, du Président du Parlement panafricain, Nkodo Dang, du préfet du Fako, et de Pierre Meba, l’apôtre le plus proche du Christ national. Si vous me posiez cette question, je vous répondrai que mon statut de philosophe équivaut à celui d’une grosse mouche dans la société. Autrement dit, le penseur est le remède de la pourriture morale et sociale. Par ses bourdonnements incommodes incessants, il prévient les citoyens des risques d’infections et de contagions du corps social par les microbes et virus mortels que sont le tribalisme, l’excès de pouvoir, la violence gratuite, le favoritisme, du népotisme, des crimes d’État. Et lorsqu’un pan de la société ou de l’appareil de l’État commence à pourrir, il est le premier convive ; il précipite la décomposition de l’organe moribond, pour sauver le reste de la gangrène. La splendeur asticotée de ses analyses rappelle le caractère périssable de toute nature biologique et institutionnelle ; elle introduit au renouvellement des cadres et des acteurs de l’ensemencement de nouvelles promesses. Philosopher, c’est susciter le goût de la controverse scientifique et non enraciner la culture du dogmatisme Le philosophe, la mouche du peuple, sent, au loin, la venue inexorable des nuages malodorants de la déchéance et de l’anéantissement. Lorsque le peuple se résigne dans la peur, l’impudicité, la violence, la vulgarisation de la honte et la banalisation de la mort, il le réveille par ses tambourinements incisifs. Comme les autres intellectuels, les philosophes butinent au cœur des ordures pour les transformer en un fumier nécessaire à la germination des futures générations. Mais pour conduire cette tâche prométhéenne, ils doivent pourfendre l’imposture, la haine et la méchanceté, sous toutes les formes. II/ Comment Pierre Meba, le petit-frère du Christ national m’a énervé On peut être bien mis, avoir fière allure, parler net, sentir bon, mais se révéler être un parfait coquin et une âme maudite en errance sur terre. Ce qui distingue le vulgaire du noble, c’est cette respectabilité et cette exemplarité, si caractéristiques du dernier, qui ravissent les suffrages du cœur, quel qu’il soit. Comment donc comprendre que la figure la plus affale, la plus discrète, la plus relevée, aussi bien dans la posture civique que dans les mœurs, s’accoquine de la frimousse la plus artificielle de notre espèce, avec l’imposture crasse ? Si le Christ national prêche « la rigueur et la moralisation », lui-même, ses apôtres et tous les « fidèles » ne devraient-ils pas, eux aussi, prendre leur distance d’avec l’opprobre et les plus pestilentielles souillures ? Comment comprendre que Pierre, venu tout droit de l’Enfer d’Étoudi, lui qui est le roc sur lequel le Tout incarné fait son Église des désespérés, accepte de s’asseoir derrière l’Homme à la pink, au point où la coiffure de taré de ce dernier l’empêche de jouir du spectacle mortuaire, éblouissant, de l’élévation paradisiaque de l’autre Pierre, le Grand mort qu’on célébrait à l’occasion, feu Soumou Angoula) ? Est-ce une démission devant ses responsabilités d’État ou un accommodement propice à la trahison du peuple ? Car je refuse, de mauvaise foi, que ce cirque soit conforme aux canons du protocole d’État. Comment des gens qui se targuent d’avoir amené la démocratie, c’est-à-dire la capacité des citoyens à dire oui ou non, selon leur volonté, se compriment tant, à tel point que, eux-mêmes, ils ne puissent plus dire « Non, ça suffit ! Cette compagnie est gangrenée » ? Si renoncer à la liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, suivant le mot de Rousseau, pourquoi l’homme d’avenir demeure-t-il aussi indifférent à tout ? Pourquoi n’est-il pas jaloux de sa liberté et de la sécurité de son goût ? Pourquoi s’encombre-t-il de si immorales fréquentations ? Quoi qu’il en soit, ce renoncement du pouvoir qui se décime en impuissance m’a inspiré ces mots de René Girard : « Seul l’être qui nous empêche de satisfaire un désir qu’il a lui-même suggéré est vraiment objet de haine ». Pourquoi avait-il choisi de s’asseoir derrière l’Homme à la pink, le symboliste de l’effacement et le professionnel des mensonges romantiques, celui qui incarne le « grand dégoût de la volonté du néant » et qui pue le pouvoir pour conjurer sa vacuité ? Que n’osait-il reprendre les esprits constipés, qui se sont gavés de superficialités dans leur parcours académique et professionnel et qui, non seulement répugnent à la logique élémentaire, mais aussi se sont compris dans le brigandage de la fortune publique et le mauvais goût ? Je me suis dit, en mon cœur impassible (calme), que si le petit-frère m’énerve déjà autant, avec l’aîné, ce serait le comble de mes peines, un écœurement et une furie digérés à grands renforts de références poétiques. Que Dieu m’en préserve ! Car, nul ne peut s’épanouir dans l’État westphalien, ni non plus vivre avec ses diablotins. III/ Les mésaventures des diablotins au pouvoir Mais j’ai retravaillé l’énervement où Meba m’avait plongé. Peut-être avait-il raison. Lorsqu’on est cerné, de toutes parts, par les plus terribles obsessions, miné par la plus affligeante désillusion, que reste-t-il à faire, sinon entreprendre de se comprendre par degré, palper sentimentalement les possédés (en observant attentivement ce qu’ils aiment), et saisir l’élan méphistophélique qui cimente les métamorphoses quotidiennes des citoyens en zombies. Pour mieux traquer le mal, y a-t-il meilleur angle et approche plus efficace que de le regarder de dos ? Car, en fait, pour rendre au monde son but et à l’homme son espérance, pour vaincre les faux dieux et la peur que les offenses des méchants inspirent aux âmes renfrognées, y a-t-il d’autre moyen que d’affronter le péril avec l’assurance d’une inébranlable foi ? Je savais, qu’en venant à Lembe, j’aurais le loisir de voir dé-marcher des « bienvoyants », qui pénètrent en brousse, en plein jour et qui ne s’émeuvent pas de se dérouter. Mais je voulais, néanmoins, admirer leur nez qui ne sent plus les odeurs insupportables à un odorat sain. Je ne doutais pas que, comme ils sont autistes (ils refusent d’entendre un discours autre que le serment de leur trahison), leur arrivée n’allait pas manquer de provoquer la colère des populations. J’imaginais qu’en me pointant là, le premier, à la tribune officielle, à la surprise générale, j’assisterai à l’arrivée tonitruantes des diablotins de l’État westphalien tueur. Ils sont donc arrivés, comme prévu, en meute. Ils nous ont trouvés, nous les villageois, en pleines cérémonies traditionnelles. On faisait nos choses ; on disait nos paroles sacrées, tranquillement ; on communiait avec nos ancêtres, en somme, on se blindait, contre eux. Le Chef de village les a tous laissés s’asseoir et il leur a dit, comme mot de bienvenue : « Vous nous avez trouvés en train de faire les choses sacrées du village. Avec tout le respect, veuillez patienter un peu, nous terminons avec les veuves ». Il a ajouté, et je mets cela en majuscules, puisqu’il a pris le soin de bien articuler, pour qu’ils ne disent pas après qu’ils n’avaient pas compris : « Chaque fois que l’on empêche certains membres de la famille de s’exprimer, cela apporte le malheur dans la famille » ! Je prends les services de renseignement à témoins, à ce sujet… Mais est-ce que ces gens écoutent alors ? Est-ce qu’ils se souviennent même qu’on les observe, qu’on note ; qu’on garde tout ça, dans la mémoire proéminente (qui ne se remplit pas) des générations futures ? Est-ce qu’ils entendent encore les bourdonnements impertinents des mouches ? Les Seigneurs venus de Yaoundé, avec leur respiration de domination, ordonnèrent la fin des rites traditionnels, arguant que le Représentant du Chef de l’État, le Gouverneur de la région du Centre, ne pouvait pas attendre, puisqu’il devait rendre compte au Président de la République. Comme s’il ne pouvait pas repartir, de suite, et dire que la mission s’est bien passée, ramasser son argent de mission chez le Payeur général, et, ni vu ni connu, comme ils en ont l’habitude, foutre le camp aux villageois, des gens qui ne voulaient qu’une seule chose : effectuer les rituels mortuaires, engager les veuves à la danse funèbre. Les diablotins ordonnèrent donc le début de la cérémonie officielle. Ils annoncèrent, en grande pompe, la messe, les discours, les discours, les discours, les parades militaires et policières (ils jouissent de contempler les armes, de voir donner la mort qu’elles crachent), la décoration posthume du défunt, la nourriture, les vins rares, les rots, les pets et tous les condiments des latrines qui les accompagnent. Tels sont les indices d’une société bloquée. Le temps ordinaire suspend son envol et impose un instant d’insalubrité publique qui force la colère, le ressentiment, le dégoût, la révolte et la haine à sortir de leur lit. Et ce qui devait arriver arriva : les veuves, qu’on venait de léser, furent prises d’un terrible accès de colère, se sentant flouées par la fatalité d’abord, qui leur arrachait leur époux, et, ensuite, par des envahisseurs de leur village, qui les empêcher de pleurer leur amour définitivement perdu. Elles protestèrent vertement : « Vous dites que Paul Biya a dit que, a dit que…, lui-même n’a pas la famille ? » J’ai observé les deux personnalités les plus en vue : le petit-frère du Christ national n’était point confortable devant ce brouhaha désolant ; le gouverneur, qui, depuis l’ENAM, est formé à tout réduire au silence, à s’habitué à mater, à torturer, à bafouer les consciences protestantes, lui, ne semblait pas touché outre mesure par ces sordides jérémiades de quelques machins mal habillés. Certainement, pour lui, la vie de l’État, qu’il incarnait en ce lieu, surpassait, de loin ces minables survies qui remuaient là, sous ses pieds élus. Avec eux, si tu es fâché, on te gifle plus fort ; on te roue de coups de matraque. Si tu as le malheur d’être triste ou en pleurs, on confond tes malheurs à une rigolade et te tourne en dérision, avec les plus blessants quolibets. Il y eut des conciliabules. Puisque la mouche (moi) était séparée des pourrisseurs de trois rangées, de peur de recevoir une fatale aspersion d’insecticide, il ne put savoir où vint le répit, qui suggéra le changement de cap. Dans tous les cas, dans les secondes qui ont suivi cette contestation populaire, on ordonna la reprise des cérémonies traditionnelles. Il fallait admirer l’euphorie qui s’empara alors du public, après cette visite inopiné du bon sens dans le cœur des diablotins : la décrispation de l’atmosphère funèbre s’illustra par une ruée des veuves sur la place publique où nous étions réunis : elles chantèrent, dansèrent, mimèrent des intronisations factices ; elles exigèrent surtout qu’on leur payât le tribut de toutes les infidélités, les incivilités et les offenses qu’elles avaient subies. On leur donna à boire et à manger, un traitement qui leur restitua leur innocence, leur inoffensivité et leur indifférence à tout le reste. Et la parole revint aux décideurs… IV/ L’État westphalien tropical, le mensonge meurtrier des idéologues du Renouveau Tels sont donc les maladresses quotidienne des diablotins qui nous dirigent. Dans leur entendement inondé de paresse et de vices, le mot République sonne invariablement comme despotisme et dictature. Ils n’aiment pas aller à la source des choses, en interrogeant les causes premières. Ils ne peuvent donc comprendre l’essence de l’État de droit, qui est le principe générique de la République, et qui fut théorisé par Jean-Jacques Rousseau, au 18e siècle : « Il n’y a point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois. […] Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand, dans celui qui le gouverne, il ne voit point d’homme, mais l’organe de la loi. » (Rousseau) La prise en compte de ces évidences introductives de la théorie politique permettrait, pourtant, de s’épargner les conséquences, parfois tragiques, de la vanité, de l’impudicité et de la méchanceté du Commandement quasi divin qui nous toise au quotidien. Leur rhétorique infatigable est que la souveraineté est intarissable ; que l’État est fort, un monstre froid qui détruit tout sur son passage « humanisant ». Leur dada, c’est que, depuis ses origines, l’État moderne est toujours, plus ou moins, un État westphalien : il se nourrit du sang ! Contre le mythe de l’ « État westphalien dégradé », le Léviathan tropical imaginaire, et l’argument du monopole de la violence d’État, il faut cependant rappeler aux doctrinaires de la terreur intellectuel et d’État, en y insistant, que l’État westphalien et le principe de souveraineté qui lui est attaché sont nés du traité de 1648, qui mit fin aux guerres incessantes dans les États allemands et qui consacra leur libération du joug autrichien. L’esprit qui y prévalait, à savoir, que « le Roi est empereur dans son royaume (Rex est imperato en regno suo). L’État westphalien : la souveraineté inaliénable, l’indépendance intarissable, la puissance indomptable, le Léviathan imperturbable. Il faut dire, aux illuminés qui théorisent la guerre dans notre pays, que ce monde moyenâgeux est définitivement mort ; que depuis les deux guerres mondiales et la Guerre froide, l’État a évolué, s’est complexifié ; que certains pays sont morts, d’autres sont nés, et rien n’indiquent que d’autres États ne pourront pas renaître ou se créer, ni non plus que le nôtre est immortel. L’État est le produit de l’entendement et de la foi des hommes en leur salut terrestre et en leur bien-être quotidien, avec leurs promesses d’avenir et leur impiété. Or, les êtres humains pensent et pèchent. Donc l’État, lui aussi, pèche… V/ Métaphysique de l’autorité politique : les péchés de l’État S’interroger sur la métaphysique de l’État, c’est repenser la matière et l’étendue de la semelle historique et théorétique qui nous a constitués comme un peuple spécifique de la terre. L’État, quel qu’il soit, est la puissance de la multitude. Il s’impose comme une rationalisation-condensation de sensibilités et motifs d’actions collectives, organisées en vue de l’auto-réaliser du peuple comme corps politique constitué. Or, puisqu’il est le principe qui constitue tous les peuples, comme tel, l’État peut-il quand même pécher ? Le philosophe hollandais, Baruch de Spinoza, répond à cette question, par l’affirmative, en ces termes : « L’État pèche donc quand il fait ou quand il souffre des actes qui peuvent être cause de sa ruine, et, dans ce cas, nous parlons dans le même sens où les philosophes et médecins disent que la nature pèche ; d’où il suit qu’on peut dire à ce point de vue que l’État pèche quand il agit contre les règles de la raison ». Le plus grand péché que peut commettre un État, c’est de travailler à sa propre perte ; c’est se donner la mort en entretenant la malgouvernance. Il doit agir suivant une certaine éthique républicaine ; il doit s’appartenir : « Par conséquent, l’État, pour s’appartenir à lui-même, est tenu de conserver les causes de crainte et de respect ; autrement il cesse d’être l’État. Car, que le Chef de l’État coure, ivre et nu, avec des prostitués, à travers les places publiques, qu’il fasse l’histrion, ou qu’il méprise ouvertement les lois que lui-même a établies, il est aussi impossible que, faisant tout cela, il conserve la majesté du pouvoir, qu’il est impossible d’être en même temps et de ne pas être. Ajoutez que faire mourir, spolier les citoyens, ravir les vierges et autres actions semblables, tout cela change la crainte en indignation et par conséquent l’état social en état d’hostilité ». Retenons, de cette pensée de Spinoza, que l’État doit se consacrer à l’entretien de sa santé morale, afin de conserver toujours, à son égard, les sentiments de crainte et de respect, et de s’épargner l’indignation et l’hostilité de ses propres citoyens/ Fridolin NKE Expert en discernement


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