Analyste politique et enseignant de droit publique à l’Université de Douala, examine l’impact du boycott des élections législatives et municipales par le parti de Maurice Kamto. Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun a décidé de ne pas prendre part au double scrutin législatif et municipal du 09 février prochain, invoquant entre autres, la persistance de la crise dans les régions anglophone. Comment comprendre ce boycott ? Le Pr Maurice Kamto a convoqué à mon sens trois raisons qu’il estime légitime pour justifier sa non-participation au double scrutin du 09 février 2020 dont le corps électoral a été convoqué par le président de la République. Au regard de ces motifs, notamment le premier, la crise dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest est une raison légitime. Simplement parce que l’expression de la démocratie se fait justement dans des conditions optimales de sécurité. Or, on se rend compte que jusqu’à présent, au niveau du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, la situation n’a pas encore atteint le degré d’accalmie. C’est vrai que du côté de Buea, il y a un retour sensible à la paix. Mais, il y a qu’à Bamenda, les velléités de mise à mal de l’ordre public continuent de se manifester avec acuité. Si de ce côté les élections ne se tiennent pas, certes, le code électoral donne les pouvoirs au président de la République de déduire certaines circonscriptions administratives où le double scrutin pourrait se dérouler aisément. Mais, dans le cas d’espèce, il faut noter que dans des conditions d’insécurité, le fait que nos compatriotes de ce côté là ne prendront pas part aux élections de proximité, peut être un argument de poids. Deuxième point, il convoque la nécessité de la modification du code électoral. Je pense que c’est une revendication qui ne date pas d’aujourd’hui. C’est une vieille revendication, une pression des partis politiques d’opposition et même de la communauté internationale. Les Etats-Unis avaient âpre-ment demandé au président Paul Biya de rendre le code électoral consensuel et de réunir tous les protagonistes politiques afin de mettre en place un code qui puisse satisfaire tout le monde. Là-dessus, je suis également d’accord avec le professeur Kamto qu’on ne peut pas rentrer dans un terrain lorsque les règles du jeu sont uniquement fixées par l’arbitre et c’est lui qui décide de valider les buts même s’il y a hors-jeu, au détriment des juges assistants. Même si ceux-ci lèveront le fanion, c’est l’arbitre seul qui décide. Il y a nécessité de modifier le code électoral avant d’aller aux élections. Tout simplement parce que le code électoral est source de légitimité du pouvoir des élus et est l’expression de la volonté des populations. Je vais prendre un exemple : seuls les procès-verbaux d’Elecam font foi. A ce niveau-là, il y a déjà un problème. Comment peut-t-on estimer lors d’une élection que seuls les procès-verbaux d’Elecam font foi ? On aurait pu dire, les procès-verbaux d’Elecam et ceux que les partis politiques détiennent font foi. Là, il y a plus de crédibilité. S’agissant du troisième motif, il invoque la mise en place du Conseil constitutionnel, beaucoup plus le décret qui fixe le statut des membres de cette instance. L’article 49 qu’il invoque est un article qui impose et exige aux membres du Conseil constitutionnel d’être impartiaux. Or, on se rend compte que tous ces membres étant nommés par le président de la République, même si la procédure est variée, (c’est-à-dire deux qui viennent conseil supérieur d.e la magistrature, trois qui viennent de l’Assemblée nationale avec l’accord du bureau, trois qui viennent du Sénat avec l’accord du bureau, et trois qui sont nommés par le président de la République parmi lesquels le président), tous les onze membres du Conseil constitutionnel sont nommés par un décret unique du président de la République. Ce qui veut donc dire que si un des membres venant de l’Assemblée nationale est hostile au président de la République, celui-ci ne pourra pas le nommer dans le décret unique. Donc, je pense que pour ces trois raisons, le Pr Maurice Kamto est en droit, nous sommes en démocratie, de ne pas participer. Est-ce qu’il n’y a pas de non-dits derrière ce boycott ? Ce boycott mérite d’être compris sous le prisme de ce que le Pr Maurice Kamto a annoncé ce qui est dit mais, il n’a pas évoqué les non-dits. En réalité les non-dits de ce boycott se justifient par le fait qu’il y a une impréparation totale et qui n’est pas simplement du bord politique du Mrc. Même le SDF n’a pas pu réellement tenir les primaires afin de dégager les investitures. Le SDF était obligé de reconduire les mêmes personnalités d’il y a cinq ans. Vous convenez avec moi que l’un des non-dits de ce boycott c’est cela. Le Pr Maurice Kamto est surpris par la convocation du corps électoral et il y a une impréparation notoire, et donc, il comprend que s’il s’en va dans ces conditions au double scrutin, il ne va justement pas engranger le nombre de sièges souhaité. L’autre non-dit qui justifie le boycott c’est simplement que le Pr Maurice Kamto a peur d’une humiliation, après avoir été deuxième à l’élection présidentielle. Et si à ce double scrutin il n’a pas la représentativité, je parle bien de représentativité et non de représentation, c’est-à-dire un nombre impressionnant de députés, et un nombre impressionnant des conseillers municipaux et des maires, il aura raté le cap. Donc, voilà ce qui peut nous permettre de comprendre que le boycott de Maurice Kamto est un boycott en double lecture : d’abord un boycott passif au sein de son parti où il se retire de la participation au double scrutin, et un boycott actif où il appelle toutes les autres formations politiques, membres de la société civile à le suivre dans cette voie et même le peuple de ne pas aller voter. Quel impact cette décision peut-t-elle avoir aussi bien au sein de cette formation politique que dans le paysage politique camerounais ? Un parti politique est construit autour de son leader. Et, lorsqu’il arrive le moment de prendre des décisions importantes du. parti, on ne peut pas réunir tous les militants. Je crois que le président Maurice Kamto a réuni le directoire de son parti, c’est-à-dire un certain nombre de personnalités restreintes et à l’issu de cela, ils ont discuté au détriment de la base, et il a décidé de ne pas faire partir de ce double scrutin. C’est donc un véritable choc au niveau de la masse des militants du Mrc. Le parti prend véritablement un sérieux coup au niveau de son organisation, et surtout au niveau de la volonté militante. Le Pr Maurice Kamto aura désormais l’obligation, pour essayer de conserver l’homogénéité de son parti et lui éviter une fracture, d’engager une campagne de sensibilisation et d’explication pour essayer de conserver justement les militants qui avaient aimé aller à ce double scrutin faire valoir leur choix pour les nouveaux dirigeants au sein de ce parti politique. Si rien n’est fait en termes explicatif, l’impact sera grave au niveau de la déchirure entre la base et le sommet de ce parti politique. Sur le plan du paysage politique, notons tout simplement que le Mrc aujourd’hui, au regard de la place que son leader a occupé lors de l’élection présidentielle n’est plus un parti des moindres. C’est la raison pour laquelle on n’avait espéré qu’il aille à ces élections pour avoir une majorité certainement au Parlement et au sein des conseils municipaux. Question de mettre à mal la politique de ceux qui sont au pouvoir. Donc, l’impact sur le plan du paysage politique est considérable parce que, le fait pour le Mrc de se retirer de la participation à ce double scrutin ternit l’image de notre démocratie, et amène à penser que, justement, si un leader de sa trempe qui est sorti deuxième d’une élection présidentielle refuse que son parti aille aux élections pour des éléments qui ont été convoqués avec force et vigueur, je pense pour ma part que le paysage politique va prendre un sérieux coup. Il a annoncé l’idée du boycott actif. Si les autres partis de l’opposition se joignent à lui tels que le SDF, le Pcrn et le Purs, je vous assure que le paysage politique camerounais va prendre un sérieux coup sur le plan de l’émulation démocratique, sur le plan politique en termes de renouvellement des acteurs et de la classe politique. Au niveau de la démocratie, il y a également un impact. En réalité, il faudrait bien mettre en place des conditions optimales pour que les partis politiques puissent se mouvoir. Notre Constitution est claire là-dessus : les partis politiques concourent à l’expression du suffrage. Et, l’expression du suffrage doit se faire dans des conditions optimales pour que la démocratie puisse justement se mouvoir dans des bonnes conditions. Le fait que plusieurs partis d’opposition présentent des candidats à ces élections assure-t-il la crédibilité de celles-ci ? La crédibilité sur la dynamique de notre démocratie est bien claire. Je vous ai dit tout à l’heure que si le Mrc, le Pcrn, le Purs et le SDF ne prennent pas part à cette élection, je vous avoue que ça sera une élection décrédibilisée d’abord sur le plan national, et même sur le plan international. Les revendications qui portent sur l’encadrement institutionnel et normatif du processus électoral au Cameroun sont largement décriées non pas seulement par les membres de la société civile, non pas simplement par les acteurs politiques, mais, même par ceux qui sont soucieux du processus de transparence, de sincérité et surtout de fiabilité dans l’organisation du processus électoral. Nous allons prendre premièrement les institutions organes qui encadrent ces élections. Tous les membres d’Elecam dans ses deux structures fondamentales, c’est-à-dire, le Conseil électoral et la direction générale des élections, sont nommés par le président de la République qui, lui-même est un acteur du processus électoral. C’est-à-dire qu’il est juge et partie. Il ne peut pas être à la fois candidat, et mettre en place des structures qui sont à sa solde, qui dépendent de son autorité. Les membres du Conseil constitutionnel, par exemple, ont un mandat inférieur à celui du président, et le texte dit que le président de la République peut les reconduire. Cela veut donc dire que leur statut, leur rémunération, dépend du président de la République et sont sous ses ordres. Clément Atangana est nommé par le président de la République, et le président de la République est candidat à une élection. Comment vous vous imaginez que Clément Atangana puisse déclarer un autre candidat élu même si cela est le cas ? Non, le pouvoir de nomination crée la subordination. Le pouvoir de nomination crée l’obligation de rendre compte à celui qui vous a nommé. Donc, sur le plan de ces institutions organes, notre processus électoral est décrédibilisé. S’agissant des institutions normes, c’est-à-dire, le code électoral qui participe de la régulation des processus électoraux au Cameroun, on se rend aussi compte que ce code électoral présente des insuffisances. En réalité quand vous le lisez de manière profonde, vous vous rendez compte que ce code électoral ne peut profiter qu’au parti au pouvoir. Le président de la République est presque l’alpha et l’oméga du processus électoral. C’est lui qui convoque le corps électoral, c’est lui qui détermine la date des élections. Cela veut dire que le président de la République est juge et partie. Les institutions seraient donc taillées sur mesure… A la vue des institutions normes et des institutions organes qui participent à la régulation des processus électoraux au Cameroun, la vérité saute aux yeux : nul ne peut gagner le Rdpc dans de telles conditions. D’où l’urgence de modifier le code électoral pour le rendre consensuel à l’effet d’assister à des scrutins qui seront structurés autour de la sincérité, de la fiabilité, surtout de la transparence qui va donc mettre les uns et les autres l’accord par rapport aux résultats qui vont être engrangés Ce qui va nous éviter les revendications postélectorales comme nous l’avons vu jusque-là. Le boycott peut-t-il conduire à une implosion du Mrc ? Effectivement, l’implosion peut se réaliser. Le Pr Maurice Kamto a tout intérêt à faire comprendre aux militants de base l’opportunité et la fiabilité d’une telle décision de ne pas participer au double scrutin. Sinon l’implosion sera inévitable. J’étais justement sur le plateau de télévision de la chaîne Equinoxe avec un des postulants à la mairie de Douala 5e. Je dois vous avouer qu’il a fallu qu’il soit remonté par moi à tout moment pour qu’il ne crache pas. L’analyse que je fais au-delà de toutes les attentes c’est simplement que, quand nous voyons l’attitude du professeur Maurice Kamto, quand nous entrons en contact avec la décision qu’il a prise de ne pas participer au scrutin, je suis convaincu de le dire avec force et vigueur que certainement le professeur Maurice Kamto a un agenda caché. Certainement, il connait beaucoup trop de choses que les militant de son parti ne connaissent pas, peut-être que le professeur Maurice Kamto compte sur la pression internationale parce que, je vais vous dire, vous avez vu depuis un bout, les Etats-Unis ont fait des pressions fortes sur l’Etat du Cameroun. Bien avant, ils demandaient la libération de Maurice Kamto, la résolution de la crise anglophone, la mise en place d’un dialogue national. Ils demandaient justement la modification du code électoral. Vous convenez avec moi que le président de la République a déjà répondu à un des problèmes que soulevaient les Etats-Unis, c’est-à-dire, la libération du professeur Maurice Kamto et ses alliés. Sur cette question le président de la République a eu au sein de son parti trois propositions. La première proposition et la plus radicale c’était de faire condamner le professeur Maurice Kamto comme l’a été Sisiku Ayuke Tabe. La deuxième tendance disait au président de laisser faire le tribunal militaire, de le condamner et que le président utilise son droit de grâce. Et la troisième tendance la plus modérée consistait à demander au professeur Maurice Kamto de formuler des excuses à l’endroit du président de la République. De toutes ce trois tendances, le président n’a donné droit à aucune d’entre-elles. Il a plutôt demandé l’arrêt des poursuites et des charges à l’endroit du professeur Maurice Kamto. Donc, le président de la République a pris à contrepied même les membres de son parti. Ne serait-ce pas le fruit des pressions américaines ? Les Etats-Unis ont retiré le Cameroun de leur politique publique économique l’Agoa. Nous avons eu la sortie du ministre de la Communication, M. René Emmanuel Sadi, qui, toujours maladroit, n’a pas pris du recul. A l’instant où nous faisons cette interview, il y a une commission qui est allée aux Etats-Unis renégocier la réinsertion du Cameroun dans le système Agoa. Donc, on ne peut pas engager un duel avec l’une des plus grandes puissances mondiales. La troisième était justement que, sortant de là, le professeur Maurice Kamto a justement espoir que soit le président de la République va d’ici le mois de janvier procéder à la révision de la Constitution, sous la pression internationale, soit le président de la République va créer un poste de vice-président, il va nommer Maurice Kamto, qui pourrait le remplacer éventuellement en cas de démission, ou en cas de décès ; soit il a l’information que les pressions internationales vont amener le président de la République à plier l’échine et à modifier la Constitution, et à renvoyer sine die la date de la tenue effective du double scrutin législatif et municipal.
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