L’historien et analyste politique explique la tendance abstentionniste observée lors du double scrutin du 09 février dernier. Au regard certains indicateurs, l’on note que les zones les plus touchées par l’abstention lors du double scrutin du 09 février dernier sont le Nord-Ouest, le Sud-Ouest et les grandes villes. Quelles en sont les mobiles ? Dans le premier cas, c’est d’abord à cause de la crise et de l’insécurité que vivent ces régions. Malgré les assurances que donnent les autorités, il est facile de constater la récurrence des attaques^ contre l’administration et les forces de sécurité elles-mêmes ! Alors comment dans ce cas risquer sa vie juste pour aller voter pour des candidats qui n’ont pas pu faire normalement leur campagne électorale et qui pour l’essentiel sont exilés dans d’autres localités plus calmes ? À cette situation sécuritaire il faut ajouter toutes les considérations liées aux revendications exprimées et à la qualité des réponses apportées. Dans les grandes villes, l’importance de la population et de ce fait du nombre d’électeurs inscrits, permet d’observer le niveau d’abstention très élevé. Ce sont également les espaces les plus politisés avec une forte conscience citoyenne. Par conséquent, les mots d’ordre peuvent être mieux compris et suivis. Il faut toutefois relativiser en tenant compte de certains enjeux régionaux ou locaux qui ont poussé à voter ou à ne pas voter massivement çà et là ! Dans la participation ou dans l’abstention, certaines considérations liées à la sociologie électorale locale et à certains agendas particuliers ont pu jouer. Quelles conséquences ? Les conséquences d’une forte abstention c’est le risque de délégitimer les élus issus de ces élections minoritaires. Le simple fait qu’ils soient conscients de n’avoir été élus que par une portion congrue de citoyens et de l’électorat est un sérieux problème pour eux, dans la prise de certaines décisions ou la recherche d’une adhésion de la population à leurs initiatives. Un maire, pour transformer sa cité, a besoin de l’adhésion de ses concitoyens. Tout comme un député pour porter la voix du peuple qu’il est censé représenter. La conduite des affaires de la cité exige un certain niveau de consensus ou au moins majoritaire. La démocratie est un gouvernement de la majorité après tout ! Gouverner devient très difficile lorsqu’on a la majorité du peuple contre soi ou enfermé dans une défiance abstentionniste et attentiste. Au-delà des crispations individuelles, il est important de prendre de la hauteur pour décrypter les messages des citoyens et y apporter les réponses idoines. Ce taux d’abstention qui, selon les premières tendances pourrait franchir la barre de 70% découle-t-il de la désaffection que les Camerounais ont vis-à-vis du système électoral, ou alors a-t-il un lien avec l’appel au boycott lancé par le Mrc ? En matière électorale, l’abstention désigne le comportement d’un électeur qui ne participe pas au vote le jour du scrutin. Selon toute vraisemblance, le taux d’abstention enregistré pour les élections municipales et législatives qui viennent de se dérouler est le plus élevé de l’histoire électorale au Cameroun. C’est tout naturellement qu’on cherche à comprendre ce qui pourrait expliquer cette faible participation au jeu électoral. On peut distinguer deux types d’abstention en tenant compte des raisons pour lesquelles l’électeur s’est abstenu d’exercer son devoir citoyen : l’abstentionnisme passif lorsque l’électeur n’est pas allé voter du fait d’un empêchement involontaire, n’ayant rien à voir avec l’expression d’une quelconque défiance, par exemple dans les cas de maladie, de déplacement, de difficulté quelconque …. ; l’abstentionnisme actif quant à lui est un choix délibéré de l’électeur de ne pas aller voter pour exprimer un mécontentement, un désintérêt ou une position politique bien affirmée, par exemple un manque de confiance à l’égard du système électoral, l’inutilité du vote sur le changement du cours des choses, le manque de crédibilité des candidats ou de leurs programmes… Dans le premier cas l’électeur est hors-jeu, tandis que dans le second il est en jeu, puisque l’abstention est reconnue comme un mode d’expression démocratique. Les deux cas de figure se sont-ils exprimés à ce double scrutin ? Dans le cadre des élections qui viennent de se dérouler, on peut dire que les deux cas de figure ont pleinement joué. De manière générale, beaucoup de citoyens s’inscrivent sans exercer au final leur vote du fait de plusieurs carences du processus électoral national. Pour les élections du 09 février dernier, le mot d’ordre de boycott lancé par le Mrc dans le prolongement de celui du Cpp et la crise qui se vit dans le Nord-ouest et le Sud-ouest expliquent amplement ce taux élevé d’abstention. L’appel au boycott lancé par Maurice Kamto et la campagne menée par les membres du Mrc pour l’expliquer et le populariser, aussi bien médiatiquement que par la multiplication des rencontres, ont certainement pu avoir un impact sur la démobilisation de certains électeurs. L’exigence des reformes électorales préalables et l’inutilité d’un vote qui n’aurait aucun impact sur les grands équilibres politiques, comme c’est le cas depuis le retour au multipartisme, ont semblé convaincre une part significative de l’électorat à la non-participation. Mais contrairement à ce qui est dit par les analystes et même par les responsables du Mrc, rien n’empêche ce parti de prendre part à la prochaine élection présidentielle en fin 2025, surtout après avoir pris part aux municipales et législatives de la même année. À condition toutefois que les conditions du boycott soient levées ou qu’intervienne une reconsidération des positions politiques en rapport avec la participation électorale. Cette faible mobilisation ne pourrait-elle pas également avoir un lien avec les investitures des candidats Rdpc à ces élections, lesquelles ont été entachées d’irrégularités et de frustrations ? Il est évident que la procédure des investitures des candidats Rdpc par le sommet, au détriment d’une forte volonté de renouvellement à la base a contribué à démobiliser une frange importante de son électorat. Par défiance et pour marquer leur mécontentement, plusieurs militants ont proféré des menaces de soutenir l’adversaire. On a vu dans plusieurs localités des séances de pardon et de réconciliations publiques visant à les ramener à la raison. La résultante a été double : certains se sont abstenus de voter tandis que d’autres ont apporté leurs voix à d’autres formations politiques. Ce qui explique certains bascule-ments ou les fortes poussées des partis concurrents dans certains bastions du parti au pouvoir. À travers ces postures, il faut lire une forte volonté exprimée par la base à l’endroit du sommet, pour un libre exercice du choix des candidats chargés de conduire sa destinée. C’est un message clair à l’endroit des appareils qui ont tendance à privilégier un contrôle autoritaire clientéliste au détriment d’un fonctionnement démocratique et transparent.
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