L'éditorial de Georges Alain Boyomo DP du journal Mutations de ce lundi 05 novembre .
Le propre de la routine est qu’elle installe en nous le manque de motivation, la lassitude. Au moment d’écrire sur le 36e anniversaire de l’accession de Paul Biya à la magistrature suprême, même le journaliste au moral d’acier ne résiste pas à l’ennui que procure cet exercice. Du coup, c’est en traînant les pieds qu’on y va, en imaginant l’alchimie qui permettrait d’être intéressant pour les lecteurs. Nous sommes donc allés puiser dans l’inspiration de trois artistes musiciens, dont les chansons ne subissent pas (ou ne subiront pas) l’usure du temps. Sans doute, on se plaît et on se plaira à réécouter leurs œuvres musicales. Il s’agit de Ngalle Jojo dans « Essimo na rigueur », Valsero « Motion de soutien » et Petit pays « Peur dans la cité ». Au lendemain de l’avènement de Paul Biya à la présidence de la République, le 6 novembre 1982, Ngalle Jojo est, aux côtés des artistes tels que feue Anne Marie Nzié, l’un des créateurs dont les chansons ont magnifié le changement que le peuple camerounais vivait alors. Son titre culte « Essimo na rigueur » est une ode au Renouveau et à son promoteur, Paul Biya. L’artiste y scande, « rigueur, rigueur, rigueur » et rappelle que lorsque le champion du Rdpc accède au pouvoir, « on [le peuple] en avait assez ». De qui ? Ahmadou Ahidjo, qui avait démissionné quelques mois plus tôt, après près d’un quart de siècle de règne. « Tout le Cameroun derrière Paul Biya, soutien total, avec Paul Biya, c’est la justice, Paul Biya synonyme de paix, Paul Biya synonyme de progrès », égrène le chanteur. 36 ans après, Ngalle Jojo peut-il redire la même chose au sujet du successeur d’Ahmadou Ahidjo ? Cette question nous (re)plonge au cœur du bilan des années Biya. Après 25 ans d’Ahidjo, si le peuple « en avait déjà assez », que pense ce même peuple de M. Biya, qui totalise 36 ans au pouvoir et dont l’amère victoire à la dernière présidentielle n’est que la partie émergée de l’iceberg de frustrations ? Il eût été judicieux que Ngalle Jojo fît lui-même le bilan de Paul Biya, 36 ans après. Sans doute le cours des choses lui aurait inspiré une autre tonalité. Comme la nature a horreur du vide, d’autres artistes sont vent debout. Ainsi de Petit pays, qui a commis, courant novembre 2016, un titre fort embarrassant pour le régime, même si malicieusement Rabba Rabbi déclare qu’il n’indexe personne dans « Peur dans la cité ». L’hommage aux victimes de l’accident d’Eséka survenu le 21 octobre 2016, fait le procès de Paul Biya et du système qu’il incarne : «Tout le monde est castré, tu as castré tout le monde. Tu as utilisé et détruit ton entourage pour régner seul… Beaucoup d’innocents sont en prison, ça c’est la trahison… Tu laisses la rébellion comme patrimoine… Tu as opté pour la peur… Pour un rien tout le monde a peur de toi… Nul n’a le droit de se prendre pour Dieu, Dieu ne supporte pas cela...Tôt ou tard, tu va payer », dégaine-t-il. Peu avant Petit pays, Valsero vibrionnait de colère sur les 33 ans du régime Biya : « 33 ans de corruption, 33 ans de népotisme, 33 ans de destruction, 33 ans de souffrance, de misère sans interruption, 33 ans d'arrogance, de violences et d'humiliation, 33 ans de mensonges bercés par des illusions, 33 ans de pénitence de sueur de larmes à profusion…». Un véritable poème du désespoir. Mardi 6 novembre 2018, le Renouveau fête ses 36 ans. Au-delà des flonflons de cet anniversaire qui coïncide cette année avec la prestation de serment pour le nouveau bail de sept ans, un bilan sans complaisance s’impose. Comment réenchanter un peuple qu’on gouverne depuis 36 ans, avec des hauts, mais surtout des bas ? Là est le principal défi pour l’homme du 6 novembre 1982. Entre la grande et la petite porte de l’Histoire, seul Paul Biya détient les clés, toutes les clés de sa sortie.