Education au Cameroun, des crises à répétition en attendant le forum national
Le pays vit au rythme des années scolaires perturbées par des mouvements d’humeur des enseignants, qui jugent insatisfaisantes les mesures prises par le gouvernement pour répondre à leurs nombreuses revendications. Des syndicats fondent de grands espoirs sur la tenue envisagée d’un « Forum national de l’Éducation », censé fixer les repères d’une nouvelle politique du secteur. Sur ce sujet, à l’impatience et au scepticisme des « seigneurs de la craie », répondent les assurances des pouvoirs publics.
Mention : « insuffisant ». Telle est l’évaluation du gouvernement par des syndicats d’enseignants, qui ont de nouveau inscrit la grève au programme de l’année scolaire lancée le 4 septembre 2023. Depuis, des professeurs du secondaire ont réactivé le mot d’ordre de « craie morte ». Dans la pratique, certains se rendent auprès de leurs établissements scolaires d’attache, sans dispenser de cours, tandis que d’autres préfèrent ne pas y aller du tout.
Trois semaines après, les effets et l’ampleur de cette protestation pacifique et qui se déroule sur une bonne partie du territoire national n’étaient pas encore comparables au débrayage qui, sous la houlette du mouvement OTS (On a Trop Supporté), avait perturbé le déroulement des enseignements dès le mois de mars 2022, au point de faire craindre une année blanche. Les pouvoirs publics avaient alors pris des engagements pour répondre aux revendications des enseignants en colère.
Rendus au mois de septembre, seules quelques promesses ont été tenues selon les syndicats : mise à jour des salaires avec prise en compte des avancements, paiement des rappels des compléments de salaires, paiement de l’intégralité des salaires des enseignants nouvellement recrutés, entre autres avancées enregistrées. Seulement voilà : les enseignants, tout en saluant ces mesures, n’en espèrent pas moins une révision du calendrier de paiement des rappels des avancements, qui s’étendrait jusqu’en 2025, selon une option que l’on prête au gouvernement.
Au-delà de ces revendications et des réponses conjoncturelles du gouvernement, des syndicats s’intéressent à des mesures structurelles. L’une d’entre elle porte sur l’application effective du « Statut particulier de l’enseignant », dont le texte a pourtant été signé depuis l’année 2000. Le cahier des complaintes est plus étoffé : « Le paiement de la prime des animateurs pédagogiques supprimée depuis 2006, soit près de 17 ans ; le rééchelonnement indiciaire de 1140 à l’indice 1400 ; la contractualisation de tous les instituteurs de l’enseignement technique ; l’automatisation des avancements ; le paiement effectif des frais de relève pour tous les enseignants affectés ou mutés ; le relèvement de la prime de documentation et de recherche de 15 000 francs CFA à 40 000 francs CFA ; la création d’une caisse pour la protection de la santé au travail », détaille Jean-Marc Bikoko, syndicaliste qui a blanchi sous le harnais, et président de la Centrale syndicale eu secteur public (CSP).
Depuis de longues années, le secteur de l’éducation est en proie à des crises à récurrentes. Les pouvoirs publics semblent impuissants pour apporter des solutions définitives aux problèmes soulevés par les syndicats et autres mouvements de protestation. Le président de la CSP tient son explication : « Les revendications des enseignants sont récurrentes parce que depuis des années, toutes générations confondues, le gouvernement n’a nullement apporté de solutions idoines aux multiples revendications que les acteurs de ce corps de métier ont toujours soulevé. Aujourd’hui à la retraite, c’est incroyable que je me reconnaisse dans toutes leurs revendications. Il ne s’agit donc ni plus ni moins que d’un manque de volonté politique. »
De nombreux enseignants fondent de gros espoirs sur l’organisation d’un « Forum national de l’Éducation » (FNE). Depuis 2018, la tenue de ce grand rassemblement des acteurs dans ce domaine semblait d’autant plus imminente que l’on espérait une accélération du calendrier en la matière, après l’instauration, fin 2016, de la crise dans la zone anglophone du pays, déclenchée, entre autres facteurs, par des manifestations du corps enseignant.
« Les mesures prises ces dernières années présentent les mêmes incohérences »
Plus qu’une thérapie de groupe, des syndicalistes trouvent à ce « Forum National de l’Éducation » de nombreux et importants avantages. Selon Mbassi Onoa, secrétaire général de la Fédération camerounaise des syndicats de l’éducation (FECASE), cette instance devrait réunir toutes les parties prenantes du secteur, pour analyser en profondeur les problèmes qui se posent, délibérer et proposer la nouvelle orientation de l’éducation au Cameroun. Par ailleurs, « sur le fond, il y a une cohérence à agir sur le global et le particulier en même temps, de sorte que l’on n’aboutisse pas aux incohérences des réformes actuelles. Elles ne peuvent être perceptibles que lorsque tous les points sont examinés au même moment. Exemple : lorsque l’on décide de passer à l’approche par les compétences qui nécessitent plus de financements en termes de matériels pour sa mise en œuvre (laboratoire, matière d’œuvre, vidéoprojecteur…) et que l’on diminue en même temps le budget du secteur, il y a là une incohérence qui ne peut être relevée que dans le cadre d’un examen global. Il en est de même de la mesure sur la gratuité du primaire, qui a été prise dans un contexte de sous-financement de l’éducation et qui, en fin de compte, revient plus chère aux parents. Toutes les mesures prises ces dernières années présentent les mêmes incohérences. L’autre avantage pour la condition de l’enseignant est que l’analyse du système et les réformes qu’il faut mettre en œuvre vont justifier les primes que les syndicats vont proposer », précise le responsable syndical.
L’organisation de Forum attendu est source de polémique. Des syndicalistes soupçonnent le gouvernement de privilégier la « stratégie de l’éducation 2020-2030 », dont la rédaction aurait été achevée, et dans l’attente de la validation de la Banque mondiale. À en croire les pouvoirs publics, ils redouteraient le risque de voir cette « stratégie » remise en cause par les résultats et les résolutions du FNE. Pourtant, « le gouvernement est favorable à la tenue du Forum. Pour preuve, des syndicats ont reçu des facilités visant à collecter des informations sur le terrain dans la perspective de ce rendez-vous. La remontée des informations la plus récente au ministère de l’Enseignement supérieur (en charge de l’organisation du Forum, NDLR) au mois de juillet dernier. La prochaine étape, on s’en doute, est la synthèse du dossier pour un réexamen avec les parties prenantes avant la tenue de cette échéance importante », confie une source gouvernementale. De quoi convaincre les sceptiques ? Rien n’est moins sûr.
Source : RFI Afrique