Il a surgi sur la scène discographique en 1993, propulsé dans les charts par André Marie Tala le célébrissime. Mais bien avant, le Bend skin reste une création rythmique des enfants de New-Bell qui avait déjà pignon sur rue. Cette musique parle de leur sensibilité et de toute une autre culture de l’adaptation aux contingences de la vie. Son histoire et sa popularité sont la preuve que chaque culture de souche, s’améliore avec ses générations. Lire ci-dessous le texte de l’éditorialiste camerounais Célestin Biaké Difana : Pour commencer, tordons le coup à une contre-vérité qui se propage, véhiculée ici et là par quelques critiques de l’art musical. Non, le Bend skin ne tire pas sa filiation du « Mangambeu » comme beaucoup l’écrivent. Ces deux musiques n’ont rien de commun tant dans leur philosophie que dans leur exécution quoique originaires toutes deux du même terroir qu’est le département du Ndé. Le Bend skin s’inspire profondément et fondamentalement du « Kwah », danse chaloupée des festivités de réjouissances et de communion qu’exécutaient nos mères et grands-mères dans leurs différentes réunions et associations à l’occasion des sorties ou rencontres. Tout l’art et l’élégance de cette danse résidaient dans la force de la chanson déclamée, le panache de l’uniforme des prestantes (sandja Bouba et chemisette féminine de préférence blanche) petit grelot métallique recourbé au pied gauche et maracas en main pour tenir la cadence, puis un long tube creux en plastique dans lequel soufflait une doyenne pour raviver l’ardeur à la danse. Le tout dans une belle ronde, buste courbé. TOURNER LA VIE EN DÉRISION Ce « kwah » survit encore pour quelques associations marginales. Mais à la vérité, ce rythme de base a été partout phagocyté par la dynamique des nouvelles générations. Le « kwah » pour tout dire n’est pas mort de sa belle mort. Il a muté en bend skin, gardant ses nombreux codes, bousculé par une transition générationnelle qui se veut en phase avec son temps et dont nous avons été les témoins privilégiés. Comme le « kwah », le Bend skin a trouvé sa pleine expression au sein des associations (Kouchouam Mbada, Keudiacktcha, Bounekeuta etc.). C’est là qu’il s’est amélioré pour déferler. Au début, beaucoup de jeunes filles et garçons de plus en plus dynamiques vont intégrer les réunions et associations de leurs aînés et mères. Et même en créer. La vie des années 80 n’est pas un long fleuve tranquille. Les perspectives d’avenir ne sont pas gaies, les mariages ne vont plus de soi, les mœurs de plus en plus se libèrent et on assume bon an mal an, des erreurs de jeunesse ayant entraîné des responsabilités, le travail se raréfie et on quitte tard ou pas du tout la maison familiale. Pourtant, il faut vivre et s’accrocher, se trouver des issues pour avancer. A New-Bell, c’est une vérité criarde. La jeunesse va s’employer à tenir le coup à sa façon. On devient moins dépendant et on s’ouvre des brèches via le commerce, la friperie, tous les petits métiers générateurs de revenus. Ça fait respirer et de mieux en mieux. Toute cette énergie va transpirer dans les réunions et associations où solidarité, fraternité et mutualité ne sont pas des vains mots. Malgré tout, l’existence a fini par avoir des couleurs face au désespoir. Et alors, on s’éclate. LE BASCULEMENT Si jadis les mères cultivaient vertu et sobriété, les adhérents nouveaux eux se lâchent. On ne rentre plus sagement à la maison dès 19/20h à la fin des festivités. Avec la sono de plus en plus de mise à l’occasion des sorties, les fins de soirée sont à l’animation. Les jeunes adhérents plus que libérés, s’offrent en spectacle en clamant la fameuse ritournelle » bend skin gui tchop fo massa » d’où viendra l’appellation du genre qui est restée. Un propos grivois pour détendre et qui veut tout simplement dire en pidjin local : » baisse toi et offre la nourriture au maître ». Tout ce cinéma égrillard est un clin d’œil moqueur à la vie et à la morale. Le phénomène de proche en proche gagne du terrain. Du quartier bangangté à Sebendjongo le coeur du mouvement, de Kassalafam (Ngosoua) à Nkol’oloun, de Km5 à Nkolmintag pour par la suite embraser les Bépanda, New-Deido, quartier Nylon et Madagascar où se concentrent les associations de l’ouest, le Bend skin dicte sa préférence et sévit. Les rencontres, festivités, deuils et funérailles ont plus d’allant et d’ambiance avec le Bend skin, ses tambours, maracas et autres danseurs étoiles. La technique de chant est plus que déclamée et l’ode aux éloges plus que favorisée. Eh oui, l’on chante la grandeur et l’histoire plus que séculaire de tous ces « ndap » conquérants qui font la fierté du département et ont forgé l’âme conquérante de ce peuple du Ndé. A la baguette de cette révolution culturelle partie de la ville pour séduire le village et les diasporas, quelques noms célèbres de sponsors de l’ombre, Ketchanga Célestin alias Maniac, Menkam Yatat, Ngapanou Michel. Et aussi des artistes du cru tels Jean Merlin Kamtchoum, Wanzi, Feuyang Irène, Dada, Tamadah Andromaque, Ton Charlotte et j’en oublie assurément qui vous prient tous de savoir que cette danse s’amorce du pied gauche pour bien tenir le rythme. Comme le « Kwah » évidemment.
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