Culture bamiléké : pourquoi organisons-nous les funérailles ?

Lire ici la tribune du Dr Louis-Marie Kakdeu parvenue à la rédaction de 237story Ma famille organise aussi des funérailles. J’y participe. Voici pourquoi: La célébration des funérailles est l’occasion de déclarer éternels nos morts. Ces personnes décédées deviennent « Fusié » c’est-à-dire des personnes retournées à la terre d’où elles étaient venues. Comme le dit la Bible, « tu es né poussière et tu retourneras poussière ». Contrairement à ce que certains pensent, les Fusié ont la fonction d’intersection auprès de Dieu exactement comme le font les Saints dans le catholicisme. Pendant les rites sur les crânes de nos proches, nous leur demandons d’intercéder pour nous. A ce niveau, moi, catholique fonctionnant dans une logique d’inculturation, me trouve plus cohérent avec ma spiritualité dans la mesure où je demande l’intersection à une personne qui me connaissait et qui m’était proche que de demander à un quelconque Saint que je n’ai jamais connu. La catéchèse nous dit que les morts sont au purgatoire en attente du jugement dernier. Je trouve incohérent que l’Institution de Rome nous déclare des personnes « Saintes » alors qu’elles ne sont pas encore jugées par Dieu. Le Pape François lui-même dit qu’il n’a pas les compétences de jugement. Qui demande donc aux Papes de juger de la sainteté des gens sur la base des témoignages humains alors que Dieu, le seul compétent, peut les déclarer coupables après? Je ne suis donc pas d’accord avec cette décision de Rome et je ne l’applique pas. Je reste convaincu que mon père ou ma grand-mère intercéderait mieux pour moi auprès de Dieu que Mère Theresa ou tout au Saint. Je parle directement et librement à mon père ou à ma grand-mère pour lui expliquer qu’il ou elle ne peut pas laisser éprouver le peu de rejeton qu’il ou elle a laissé sur terre et je pense que cela fait plus sens que de parler à un Saint qui recevrait au même moment des milliards de demande. Dans la coutume, ce dialogue se fait en versant de l’eau, en déposant le jujube ou l’arbre de la paix ou encore en faisant un sacrifice mais, on n’est pas obligé. Le plus important, c’est de se décharger, la catharsis. Si les morts sont au purgatoire dans l’attente du jugement qui les conduirait au paradis ou en enfer, de quoi se nourrissent-ils? La Bible ne répond pas à cette question. Nous, les Bamiléké, pensons qu’elles ont faim là où elles sont. La Bible nous dit que ce n’est qu’au paradis qu’on a la vie éternelle et qu’on ne sent plus la faim et la soif mais, elle ne nous dit pas ce qu’on fait en attendant d’entrer au paradis. Les Bamiléké pensent que les « morts ne sont pas morts » (elles sont au purgatoire). Où est le purgatoire? D’autres peuples africains pensent que les morts sont dans le vent qui souffle, l’eau qui coule, l’arbre qui grandit, etc. Nous pensons que les morts reviennent vivre dans un lieu de la concession que l’on déclare sacré (forêt sacrée). Certains signes naturels nous conduisent à ne plus déboiser ou débroussailler un lieu de la grande concession. En fait, la traduction française « forêt sacrée » ne correspond pas à l’expression dans nos langues locales. On parle normalement « d’espace de Dieu [Su’sié] », lieu où habiteraient les Fusié. Nous sommes dans l’ordre de la croyance bien sûr et aucune science exacte ne nous permet à nos jours de déterminer la vérité. Ce que je peux affirmer avec force du point de vue ethnolinguistique, c’est que Dieu, le seul en qui nous croyons tous, ne s’est pas manifesté uniquement chez les Juifs et/ou les Arabes (chrétiens, musulmans). Dieu s’est manifesté à tous les peuples. Les Juifs ont eu l’avantage de l’écriture qui leur a permis d’écrire leur histoire (Ce n’est qu’au 16ème siècle que les Livres de la Bible ont été choisis parmi les œuvres de la littérature juive par des théologiens. Les désaccords sur les Livres dits « inspirés [de Dieu] » ont d’ailleurs expliqué les différences de Bible entre les églises chrétiennes. Cela veut dire qu’un projet de rédaction de la Bible n’a jamais existé et que les auteurs n’étaient pas forcément du même espace géographique et de la même époque. Il y a par exemple près de 16 siècles d’écart entre le premier et le dernier Livre écrit de la Bible. C’était une longue parenthèse.) Il faut rentrer dans la littérature orale pour retrouver les manifestations de Dieu. Et C’est ce que je fais. Une étude ethnolinguistique des attributs de Dieu (omniprésence, omnipotence, omniscience) dans les huit langues Bamiléké montre que nos parents les attribuaient déjà à Dieu avant l’arrivée des colons. Ce ne sont pas les colons qui ont inventé nos langues; au contraire, ils les ont interdites. « Sié » signifie qu’il est là, présent. C’est l’omniprésence. « Sheupeu » signifie qu’il dépasse tout le monde. C’est l’omnipotence. « Mboo » signifie qu’il est le créateur. C’est omniscience. Mieux, « mboo » est le verbe « fabriquer » uniquement utiliser dans le contexte de la poterie. Et selon la littérature juive (Bible), c’est de la même façon que Dieu nous a fabriqué. J’invite tous les peuples à faire le même travail dans leurs cultures. Je suis persuadé que Dieu, le juste, s’est manifesté à tous les peuples et que des traces irréfutables existent dans les langues nationales. J’invite tout le monde à demander davantage l’intersection de nos proches morts que d’un Saint déclaré par les hommes et qui peut encore être jugé coupable par Dieu. Parlez à vos parents et grand-parents morts, « troublez leurs sommeils » et vous trouverez rapidement une solution à vos problèmes. Aux non-croyants et à ceux qui dépensent 100 millions pour faire une évacuation sanitaire en vue d’aller prendre le paracétamol à Paris, je leur demande de me laisser tranquille avec ma catharcis à travers l’organisation des funérailles dans la mesure où ce n’est pas le petit million que nous dépensons pour faire le « salaka » en hommage éternel à nos morts qui nous tuera. Je trouve socialement injuste que l’on trouve normal que des centaines de millions soient dépensés par complexe pour aller mourir en Occident et anormal que je retourne simplement au village rendre éternel mes morts (dans mon cœur). Il est vrai que certains clochards d’amis qui succèdent à nos parents font de la chefferie traditionnelle un métier cupide. Mais, c’est une autre histoire liée probablement au contexte général du pays où chacun broute même là où il n’est pas attaché.


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