Voici la lettre de démission que Maurice Kamto a adressé à Paul Biya en 2011
« Je l’ai fait dans la conscience des devoirs liés à mes charges publiques et le souci de m’en acquitter jusqu’au bout », soutient le président national du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc).
LA LETTRE DE DÉMISSION DU GOUVERNEMENT DE MAURICE KAMTO ADRESSÉE AU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE, PAUL BIYA, LE 30 NOVEMBRE 2011.
Monsieur le président de la république, j’ai annoncé mon retrait de mes fonctions de ministre délégué auprès du ministre de la justice garde des sceaux au sein du Gouvernement de la République. Tout d’abord, je l’ai fait avec loyalisme, au terme d’une démarche républicaine respectueuse de la très haute fonction et des prérogatives du chef de l’Exécutif. Je l’ai fait dans la conscience des devoirs liés à mes charges publiques et le souci de m’en acquitter jusqu’au bout.
Ensuite, je l’ai fait par patriotisme. Ni l’argent ni les honneurs n’ont jamais été le mobile de mon dévouement au service du Cameroun. « Nul n’a le monopole du patriotisme », entend-on dire quelques fois. Mais chacun le conçoit et le vit peut-être à sa manière. Le patriotisme, pour moi, est l’amour inconditionnel de son pays, la souffrance pour sa décadence, l’aspiration à son unité et à sa grandeur. Ce n’est ni un chauvinisme ni une xénophobie, mais une invite à partager avec soi cet amour de son pays. Un fil invisible relie, en une chaîne ininterrompue, tous ceux qui, par leurs gestes communs, ont forgé au cours de l’histoire l’âme de notre peuple. Le Cameroun n’est pas et ne peut être une juxtaposition d’étrangers qui se côtoient. La magie que charrie ce mot habite chaque parcelle de ce concentré d’Afrique, chaque moment, chaque lieu où souffle l’esprit de ceux qui se sont offerts pour qu’advienne ce pays. Une force des profondeurs, un sentiment non appris, cheville à lui notre rêve de puissance.
Or, voici qu’une Nation naguère rayonnante de prospérité, crainte et respectée dans sa zone d’influence naturelle et au-delà, est désormais banalisée, débordée de toutes parts dans l’indifférence, ou peut-être l’impuissance. J’ai grandi dans l’idée que le Cameroun était voué à un destin exceptionnel. Des horizons professionnels alléchants à l’étranger m’ont plus d’une fois ouverts leurs bras; jamais je ne m’y suis précipité. J’ai obtenu le diplôme terminal sanctionnant mes études de droit dans une université du sud de la France un vendredi ; un jour après, un dimanche de novembre 1983, j’étais à Yaoundé, brûlant d’apporter ma modeste contribution à ce qui s’annonçait alors comme la grande Odyssée nationale sous la houlette d’un homme réputé intègre, fin lettré et moderne. J’ai refusé l’exil volontaire. Ceci est ma Terre. J’y suis né. J’entends y vivre et contribuer à son développement ; et y mourir quand viendra l’heure.
En outre, je l’ai fait dans la fidélité à mon cheminement et à ma pensée profonde. Mon parcours n’est pas une énigme. Quelques repères jalonnent mon engagement:
– En 1979, l’année terminale de mes études de droit à l’Université de Yaoundé, fut engagée une réforme des programmes et de la durée des études qui ramena la Licence de 4 à 3 ans en Faculté des Sciences et en Faculté des Lettres et Sciences humaines, mais la maintint à 4 ans en Faculté de Droit et des Sciences économiques. Celle-ci se souleva contre cette discrimination d’autant plus vivement ressentie qu’elle n’avait guère été expliquée. Les étudiants de cette Faculté me portèrent à la tête du mouvement de grève. On était alors sous la férule d’un pouvoir autocratique. Je fis de mon mieux pour porter la voix de mes camarades et au final nous eûmes gain de cause. C’était une question de principe, une lutte contre l’injustice dont étaient victimes nos jeunes cadets, car la réduction de la durée des études, finalement étendue à notre Faculté, ne s’appliquait guère à nous qui étions déjà en 4e année de Licence, et nous le savions dès le départ.
– En 1985, prié de rendre compte de l’ouvrage d’un collègue de l’Université de Yaoundé, philosophe bien connu chez nous, sur l’Idée sociale du Chef de l’Etat, je me suis risqué à en faire une présentation critique. Cet exercice des plus classiques m’a valu un séjour en prison, dans les geôles de la BMM de Kondengui. Devant la querelle des ego qui domina le débat public quelque temps après, j’ai pris du champ et commis deux ouvrages, L’urgence de la pensée et Déchéance de la politique, qui expriment ma pensée profonde sur l’état politique de notre société.
– En 1992, face à la profonde aspiration de notre peuple au changement, je me suis engagé lors de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de cette année-là en apportant mon soutien au candidat de l’Union pour le Changement, qui proposait un mandat limité pour une période transitoire de deux ans, afin de mettre en place des règles de jeu politique consensuelles.
– En 1994, j’ai répondu présent à l’appel du devoir national, face à un péril extérieur sans précédent dans notre histoire qui portait atteinte à l’intégrité territoriale et la souveraineté de notre pays : la péninsule de Bakassi et la zone du Lac Tchad étaient occupées par des forces armées étrangères. Je n’ai pas eu la moindre hésitation quand le Chef de l’Etat m’a donné l’occasion de servir une si haute et noble cause.
En 2004, j’ai accepté d’entrer dans le Gouvernement de la République. Mes désaccords sur bien des aspects de la conduite des affaires du pays étaient connus. Mais j’ai toujours pensé la politique comme une recherche collective, dans le dialogue des contraires voire des antagonismes, de ce qu’il y a de meilleur pour la vie d’une Nation. Il faut pour cela de l’humilité et de la tolérance, une capacité à faire échec à l’arrogance des vainqueurs temporaires et à la vanité des détenteurs d’une vérité absolue.
C’est en ce sens que j’ai écrit inlassablement, depuis les années 1990 et dans divers supports, que la concertation doit être au cœur de la conduite de la politique de la Nation, parce qu’elle impose « respect de celui qui pense différemment, présomption qu’il est nanti de quelque intelligence, qu’il est porteur d’une possible contribution à la quête concertée des solutions pour le progrès collectif. » On ne peut pratiquer l’ostracisme politique et prétendre œuvrer pour le bien d’un peuple dans son ensemble. C’est pourquoi il m’a toujours paru indispensable de construire des ponts entre les compatriotes de bords politiques différents. Il n’y aura pas de grand soir où le Cameroun sera soudain vidé de tous ceux que nous « n’aimons pas » et où il ne restera plus que ceux qui pensent comme nous.
Sur ce socle de réflexion, j’étais résolu à apporter ma pleine contribution pour la réussite du septennat qui s’ouvrait en 2004 et qui était joliment baptisé « Septennat des Grandes Ambitions ». Je rêvais le président de la République en « bâtisseur ». Il fallait qu’il entrât dans l’histoire dans cette stature ; car je ne souhaite pas pour mon pays le ressac des recommencements infinis que rythment les échecs des hommes, et où l’histoire débute à chaque nouveau Chef de l’Etat comme s’il émergeait du néant. Je me suis donc engagé sans réserve et j’ai servi avec dévouement et une loyauté absolue.
Enfin, j’ai pris la décision du 30 novembre 2011 pour l’avenir et l’amour de mon pays. Les défis multiples du monde globalisé ébranlent même les vieilles et riches nations. Nous n’avons point identifié ceux auxquels sera confronté le Cameroun. En conséquence, nulle part nous ne préparons le pays à les relever.
La Nation camerounaise se fissure silencieusement, sous la puissance tellurique des haines grégaires incompréhensibles mais fantasmées, puis alimentées et rendues acceptables. Je ne pouvais me résoudre à regarder indéfiniment instiller dans notre société ce venin du tribalisme qui empoisonnerait l’âme et la vie de la Nation camerounaise pour des générations encore. Le siècle avance cependant que le pays piétine. L’unanimisme politique a repris le dessus et la « démocratie camerounaise » régresse, n’offrant plus au peuple camerounais que le choix improbable entre un parti-Etat et lui-même.
L’état de droit bégaie devant tant de violences inutiles et de familles qui crient justice en vain. La tragédie se noue à nos portes et nous refusons de voir : les conditions de vie infrahumaine du plus grand nombre et le chômage massif des jeunes, mêlés au chaos urbain, annoncent les explosions sociales à venir. Les replis identitaires nous appellent en urgence à la réflexion sur le vivre ensemble dans notre patrie commune, y compris en entendant la parole de nos compatriotes Anglophones dont le mal-être ruine progressivement la ferveur des retrouvailles fraternelles de 1961 et expose le pays à la déchirure.
J’ai pris cette décision dans l’assurance que l’on peut offrir un autre futur à notre jeunesse nombreuse, ingénieuse et ardente, en actionnant les divers leviers de formation, de création de richesses et d’emplois qui demeurent grippés par l’immobilisme et le manque d’imagination, par les pratiques destructrices de l’initiative et de l’audace. Je l’ai fait avec la ferme conviction qu’ensemble, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, rassemblés et unis dans la foi commune en cette Terre des douleurs et de promesse, nous pouvons refonder le Cameroun, enraciner l’économie nationale dans une agriculture modernisée et une industrie conquérante, construire une économie du savoir dont la matière première est la matière grise, jeter les ponts de la solidarité pour ne pas abandonner les plus faibles sur l’autre rive, celle de la misère et de l’indignité, et projeter le pays dans un rayonnement international qui établisse son influence dans le concert des nations.
Le 09 octobre 2011, le peuple camerounais a exprimé sa volonté souveraine. Je souhaite au président de la République réélu, dans l’intérêt de notre peuple, de puiser dans cette confiance renouvelée, le souffle nécessaire à la réalisation de son programme pour son nouveau septennat : une école, un port, une route, un hôpital, un pont ou un barrage construit ne sera plus à construire. Dans le même temps, à tous ceux qui entendent les échos de cette Terre « en appel d’un monde nouveau », je dis que la voie s’ouvre à une espérance nouvelle.
Que les partis politiques de l’opposition, les acteurs de la société civile, les membres éclairés du parti dominant, les nombreux citoyens anonymes qui ont consenti tant de sacrifices pour la liberté, l’avènement et le progrès de la démocratie dans notre pays, trouvent dans cette Terre aux espoirs souvent trop vite gaspillés, la puissance du dépassement pour porter cette espérance à son accomplissement.
Nous serons du mouvement. Pour ce faire, nous présenterons au pays, dans les temps qui viennent, des idées et une équipe pour les porter. Il s’agira d’hommes et de femmes acquis à la cause de la paix par la justice, respectueux des institutions de la République et résolument tournés vers l’avenir : celui de LA RENAISSANCE NATIONALE pour UN CAMEROUN QUI GAGNE.
Vive le Cameroun !
Maurice Kamto