Par Moussa Njoya, Politologue La question du pouvoir politique, et surtout celle de sa possession et de sa transmission, est appréhendée par l’opinion publique et sur l’espace public au travers d’un ensemble de mythes eXplicateurs dont la réalité est pour le moins problématique. Cette mythologie se fonde essentiellement sur les comportements réels ou supposés des gouvernants, et surtout sur certaines légendes devenues populaires au fil du temps, au point de tomber dans le domaine de l’évidence. « Ces mythes sont des marqueurs de subjectifs de l’action sociale. Lectures primaires de la réalité, ils produisent et cristallisent une identité parfois floue et des rapports de force simplifiant la notion d’adversaire ou de concurrent, ce qui suscite peurs et fantasmes, sources de violence Incontrôlable », comme le dédare Luc Sindjoun. Voici présentées quelques unes des plus prégnantes. 1- Le mythe du deus ex machina de la France Ce mythe voudrait que ce soit la France la détentrice des dés de toute transmission du pouvoir présidentiel au Cameroun. Ce mythe s’appuie sur le comportement de ce pays dans certains Etats africains comme la RCA, la Côte-d’Ivoire, le Gabon, le Mali ou encore le Congo Brazzaville. Il se fonde également et surtout dans les rôles joués par les hauts commissaires lors des passations de pouvoir entre Mbida et Ahidjo, et surtout l’assistance de la France au gouvernement d’Ahidjo dans sa lutte contre les nationalistes. La résilience d’Ahidjo étant essentiellement expliquée dans l’opinion publique par le soutien de la France sur les plans militaire, économique et politique. Sous Paul Biya, la France est vue sous l’angle de Janus, ange et démon. Pour certains, c’est elle qui est à la source de la transition Ahidjo-Biya, ainsi que des avancées démocratiques des années 90. Pour d’autres, comme Mongo Béti, elle est plutôt « le soutien indéfectible qui permet encore à la dictature de Biya de tenir ». L’on vena alors des opposants aller chercher fonction de Paris avant les élections ou encore des manifestants s’en prendre rageusement aux « intérêts français au Cameroun ». Mais à y voir de près, s’il est vrai que la France n’a pas souvent lésiné sur les moyens afin d’avoir la nette maîtrise de la situation dans les Etats de son pré-carré, installant des gouvernements fantoches par-d et suscitant des coups d’Etats ou protégeant tel obligé par-là, il est tout aussi vrai qu’elle a souvent été prise de cour par les évènements. S’adaptant a ces nouvelles donnes, elle n’a souvent pu faire prévaloir ses ambitions que dans un contexte de rapport de force favorable. Mieux encore, elle a souvent vu des situations lui échapper totalement, comme en Guinée Conakry, où malgré ses moult tentatives de coups d’Etat et de sabotage, Sékou Touré est resté en place. Gela est aussi vérifiable avec le coup foiré de Bob Denard au Dahomey. En outre, même avec les chefs d’Etat qu’on estime lui être soumis, la France a souvent eu maille à partir, quand leurs intérêts semblent être remis en cause. Les chefs d’Etats ne coopérant souvent que lorsque cela leur permet de rester au pouvoir. Et même ! Certains chefs d’Etat soutenus fortement par la France comme Ben Ali ont perdu le pouvoir face à une révolution populaire. Ce qui semble alors être déterminant est le rapport de force international et surtout national ! 2- Le mythe de l’appartenance aux loges ésotériques Le pouvoir partout au monde a deux principales caractéristiques : l’ambigüité et la sacralité. Ces attributs du pouvoir font en sorte qu’aux yeux des populations, il a une certaine source et une certaine portée mystiques. Cette « mystique du pouvoir » conduit à des mythes qui voudraient que l’on doive au préalable avoir une certaine puissance paranormale pour pouvoir avoir du pouvoir. Cette puissance s’acquérant par la « sorcellerie du noir », donnée par les marabouts, sorciers et initiés du « village » ; et par la « sorcellerie du blanc », fournie dans les loges ésotériques. Ainsi, chaque pœ liticien qui rêve d’accéder au pouvoir, à quelque niveau que ce soit, devrait avoir des marabouts, et surtout être dans une loge ésotérique. Cette exigence d’appartenance aux loges étant davantage établie et renforcée par le mythe de deus ex machinate la France que nous avons évoqué plus haut. Ainsi, les Français, avant de vous donner du pouvoir, doivent d’abord vous « initier ». Ce mythe est d’autant crédibilisé par l’appartenance de nombreux ministres, responsables et chefs d’Etat africains à des loges, telles que la Franc-maçonnerie ou la Rose-Croix. La légende voudrait ainsi que Mbida ait perdu le pouvoir parce qull avait refusé d’être franc-maçon comme Ahidjo. Mais, s’il est clair que les loges, notamment maçonniques, sont l’un des ressorts fondamentaux de la FrançAfrique, avec ses réseaux secrets et mystiques, et que de très nombreux dignitaires fréquentent assidûment ces loges, il n’en demeure pas moins que cette appartenance est très loin d’être une assurance tout-risque, encore moins un passage obligatoire. L’on a vu des chefs d’Etat africains notoirement francs-maçons, comme François Bozizé, être chassés du pouvoir, et certains qui ne l’étaient pas, comme Sékou Touré, y rester jusqu’à leur mort. De même, au Cameroun, l’on a vu des gourous de loges tel que Titus Edzoa être déchus et emprisonnés, alors qu’il y a de nombreux dignitaires qui déclarent ouvertement leur opposition à « ces pratiques » qui ont eu une très longue et riche carrière politique. Paul Biya lui-même n’a jamais reconnu une quelconque appartenance à un cercle ésotérique au-delà des allégations, supputations et affirmations. 3- Le mythe de l’homosexualité des dirigeants Dans le sillage de l’appartenance aux loges, l’autre mythe voudrait que pour avoir du pouvoir l’on soit initié à l’homosexualité, conséquence de l’appartenance aux loges. Qui au Cameroun n’a pas entendu parier de la prétendue « aventure » de Mayi Matip avec Ahidjo ? Ceci fait que tout détenteur d’une parcelle de pouvoir est soupçonné d’homosexualité, au point où une « certaine presse » s’est faite comme spécialité, la publication de listes des «dignitaires » qu’elle présente comme étant homosexuels. L’homosexualité devient ainsi l’explication passe-partout de toute réussite sociale, justifiant au passage paresse, indolence et incompétence. S’il est vrai que certains dignitaires peuvent avoir des orientations homosexuelles pouvant même conduire à une certaine tendance à vouloir exercer « le droit de cuissage » sur bon nombre de leurs collaborateurs, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le passage obligé. Les cas de figure évoques pour l’appartenance aux loges étant également valables ici. 4-Le mythe de la revanche foulbé Lorsque Paul Biya succède à Ahidjo en 1982, cela est très loin de plaire à l’élite foulbé oui redoute des lendemains de jachère. Il s’en suit des complots, à l’instar de la fameuse réunion du lac qui débouchera sur la tentative de coup d’Etat du 06 avril 1984. Celle-ci sera réprimée dans le sang et de nombreux responsables, originaires du Nord seront arrêtés et certains fusillés ; bon nombre d’entre-eux tels que Bello Bouba et Guerandi Mbara prendront la route de l’exil. Même la famille d’Ahidjo, qui est condamnée à mort par contumace, sera contrainte à l’exil. Les biens de ces personnes seront confisqués ; leurs familles tentent d’ailleurs encore de les récupérer à nos jours ; ce en dépit de l’amnistie générale votée en 1990. Sur la base de ces évènements, d’aucuns prétendent que si les nordistes reviennent au pouvoir, ils vont se venger des sudistes, surtout des bétis. Mais, l’électorat dont bénéficie Paul Biya dans le Grand Nord, ses alliances avec Bello, Dakolé, Tchiroma, Moustapha, et même avec certains membres de la famille Ahidjo, démontrent le caractère mythologique de cette opinion. 5- Le mythe de la menace Anglo-Bami Né dans les années 50-70 du temps des luttes nationalistes, œ mythe sera « renouvelé » lors des années de braises des années 90, lorsqu’une bonne partie des Bamilékés va soutenir Fru Ndi. Accusés comme étant des « envahisseurs », des « fauteurs de troubles » et des « dominateurs », par une certaine élite béti et nordiste, les Anglo-bami seront accusés d’avoir des « prétentions hégémoniques » qu’il faut contrecarrer coûte que coûte. L’on est ainsi passé tout près des génocides dans des villes telles qu’Ebolowa, Mbalmayo, Yaoundé ou encore Sangmélima. Pourtant, la réalité a démontré «qu’onpouvait être béti comme Mongo Béti et militer dans l’opposition et «Bamiléké» comme Kontchou Kouomegni tout en étant proche du pouvoir», comme le disent si bien Bigombè Logo et Laure Menthong. Les suffrages ultérieurs des régions de l’Ouest et du Sud-ouest en faveur du Rdpc vont finir d’illustrer le caractère mythologique de cette prétention. 6- Le mythe du « pays organisateur » Ce mythe voudrait que durant le règne de Paul Biya, les bétis et leurs localités aient été aux petits soins, et que par conséquent, «Usont déjà trop mangé » et devraient « laisser la place aux autres ». Présentés comme étant des jouisseurs, des « tchop brook pot » qui ont pillé le pays avec leur « frère », les be-tis devraient alors éviter de se présenter lors des candidatures au remplacement de Paul Biya. Cette pensée est même partagée par certains bétis tels que le professeur Hubert Mono Ndjana, qui estime que «lesbétisdoivent enlever de leurs têtes qu’ils peuvent remplacer Biya. Ils ont eu le pouvoir pendant plus de 30 ans; Us doivent laisser la place aux autres… ». C’est contre ce mythe que s’élève justement. Ateba Eyene dans son très célèbre ouvrage, Les paradoxes du pays organisateur, dans lequel il présente les misères et les travers des populations et localités du Sud, région d’origine de Paul Biya. Le Centre, et surtout l’Est, sont très loin d’être des régions privilégiées sur les plans infrastructure! et structurel. Par contre, des localités telles que l’Ouest, le Nord-ouest, le Sud-ouest sont très loin de la marginalisation supposée. Bien au contraire ! Par ailleurs, Paul Biya a gouverné avec les ressortissants de toutes les régions, et les grandeurs ainsi que les gageures nées de ce régime sont à mettre solidairement à leur actif et à leur passif. Ainsi, aucune région ne saurait être entièrement accusée, ou entièrement dédouanée. Seule la valeur intrinsèque des hommes étant importante ! 7- Le mythe de l’axe Nord-Sud C’est un mythe qui est né du fait de la cadence de la succession des responsables à la tête du Cameroun : Mblda-Ahidjo-Biya. Cette opinion voudrait que lorsqu’un originaire du Grand Sud exerce le pouvoir, qu’il le remette ensuite à un nordiste, qui le rendra à son tour à un sudiste lors de son départ. Ce mythe est partagé même par une partie de l’establishment, a l’instar d’Amadou Ali qui va dédarer, selon les câbles de Wiki-leaks, que: « le grand nord va soutenir Paul Biya tant qu’il est en place. Mais au moment départir, H devra se rappeler d’où il a prit le pouvoir». Ce qui ne lui vaudra pas beaucoup d’amis ! Mais à l’analyse rigoureuse, ce mythe vole en éclat, car s’il est vrai que le pouvoir a circulé depuis 1958 dans le sens sud-nord-sud, il est surtout aussi vrai que la région d’origine n’était pas l’élément déterminant. En 1957, la France veut un premier ministre docile, voire servile ; critères qui correspondent à Mbida qui pense que le Cameroun ne doit pas être indépendant avant l’an 2000. Mais au fil du temps, Mbida, qui est très brutal devient incontrôlable, surtout qu’entre-temps, il a battu Louis Paul Aujoulat, qui faisait figure de faiseur de rois, aux élections législatives. La France a alors besoin d’un autre homme-lige. Elle jette alors son dévolu sur Ahidjo, dont la circonspection et les postions francophiles lors des débats au sein des différents parlements, en font le profil idéal. Mais considéré comme une roue de secours au départ, Ahidjo fera montre d’une résilience et d’une fermeté qui vont surprendre plus d’un, dont De Gaulle et Foccart en premiers. En 1982, Ahidjo, qui du fait de son état de santé, est « obligé » de partir du pouvoir, a besoin d’une « marionnette » qu’il va installer à la présidence, tout en gardant la direction des « vraies affaires », notamment via le parti. Paul Biya qu’il a patiemment observé depuis des décennies, lui paraît être l’homme ideal, car pour lui « H est faible, mou et ne prend pas d’initiatives ». Face à la vigueur de l’homme dans l’exerdce de son pouvoir plus tard, il dira : « H était fourbe et hypocrite ! ». Ainsi, ce qui semble avoir toujours été déterminant dans la transmission du pouvoir au Cameroun est l’allégeance vis-à-vis du détenteur ou du pourvoyeur du pouvoir. Encore que l’on se situe là dans des cas de « transmission bureaucratique » du pouvoir. Avec le retour au multipartisme et les élections pluralistes, la donne a fondamentalement changé !
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