Agro-industrie : les défis de faire la plus grande palmeraie du cameroun

Avec une plantation sur 50 000 ha à Campo et Niete, la société anonyme Cameroun Vert (Camvert) devra à la fois conquérir le cœur des populations riveraines et assurer un développement durable. La bonne terre de Campo a reçu des graines spéciales ce 12 septembre 2020. De graines, il s’agit des plants de palmier à huile qui donneront naissance à la palmeraie de la Société Anonyme Cameroun Vert (Camvert SA). Cette entreprise à capitaux entièrement camerounais a lancé cette année son projet de construction d’un complexe agro-industriel de production et de transformation d’huile de palme à Campo et Niete, deux arrondissements du département de l’Océan dans la région du Sud. Le site se trouve à quelques 50 km de la ville de Kribi. Parti de la cite balnéaire, sur les berges de l’océan Atlantique, il faut parcourir les 29 km menant au port en eau profonde, pour ensuite s’engager sur une route en terre tracée dans la forêt dense par les exploitants forestiers. Le chemin est difficile à pratiquer en ces temps de pluies, même pour les pick-up et autres véhicules 4×4. Au bout d’une trentaine de kilomètres, se dresse une barrière indiquant qu’on a atteint le cœur de l’Unité Forestière d’Aménagement 09 025 (UFA 09 025) vaste sur 88 000 ha. C’est dans ce domaine qu’ont été taillés les 60 000 ha dédiés au projet Camvert. Progressivement, les arbres seront enlevés pour laisser place à une palmeraie de 50 000 ha. Déjà le sol a été préparé sur les 1 500 premiers hectares. Le planting a commencé. Au bout de deux mois, 250 000 plants seront mis en terre et changeront cet espace encore jonché de troncs d’arbres. Le projet prendra 10 ans pour atteindre sa maturité. Le complexe agro-industriel aura alors atteint sa vitesse de croisière, avec une palmeraie permettant de produire 180 000 tonnes d’huile de palme et 18 000 tonnes d’huile de palmiste par an. Toute l’infrastructure sera dès lors en place. Il s’agit des unités industrielles de première transformation pour la production des huiles de palme et de palmiste ; des installations industrielles de deuxième transformation constituées de cinq unités : savonnerie, huilerie, seigneurie (peinture), plasturgie et produits cosmétiques. Le projet prévoit d’autres composantes : production d’engrais biologique et d’énergie (électricité et vapeur), traitement des eaux usées, production, valorisation de la biomasse à partir des rebuts de déboisement et des déchets d’usine. 153 milliards F.Cfa Mettre en place ce complexe requiert un investissement de 153 milliards F.Cfa. Avec au bout 8 000 emplois directs et 15 000 emplois indirects. Aboubakar al Fatihi en est le promoteur. L’homme d’affaires camerounais préside en personne le conseil d’administration de Camvert SA. Il était jusqu’ici connu comme l’un des plus importants exploitants forestiers du pays, propriétaire notamment des entreprises Boiscam et Scieb (Société camerounaise d’industrie et d’exploitation du bois). Cette dernière rachetée en 2018 au groupe hollandais Wijma. Et voici qu’il arrive avec un projet de création de la plus grande palmeraie de l’histoire du Cameroun, devant l’ensemble des plantations directement exploitées par la So-capalm, le producteur historique d’huile de palme. Selon le Project Manager Officer de Camvert SA, Mamoudou Bobbo, cette initiative serait l’une des plus importantes sur le continent africain. Avec l’ampleur du projet, le gouvernement du Cameroun n’a pas été aux abonnés absents. Le projet a donc bénéficié d’un accompagnement institutionnel. L’entreprise n’attend plus que le décret du président de la République lui accordant une concession foncière de 60 000 ha. Cet espace a déjà été déclassé et sorti de l’UFA 09 025 par décret du Premier ministre signé le 11 novembre 2019. Par la suite, le ministre des Domaines et des Affaires foncières a autorisé depuis le 11 avril 2020 l’exploitation de 2 500 ha afin de permettre le démarrage du projet. Il transparaît un engouement du gouvernement qui a vu en Çamvert le moyen de résorber le déficit de production nationale d’huile de palme. En effet, selon le Comité de régulation de la filière des oléagineux, le pays en importera 90 000 tonnes en 2020, pour approvisionner les usines de production d’huiles raffinées, de savons de ménage et de toilette, etc. En 2018, les importations avaient atteint 100 000 tonnes en provenance d’Indonésie et du Gabon où est installé le géant singapourien Olam. Soit 50 000 tonnes venues de chacun des deux pays. Ces importations autorisées par le gouvernement ne permettent pas de satisfaire la demande évaluée à un million de tonnes par l’Association des raffi-neurs des oléagineux du Came-‘ roun (Asroc). La production nationale ne devrait pas dépasser 450 000 tonnes cette année, selon les projections du ministère de (’Agriculture et du Développement rural. C’est dire combien les 180 000 tonnes projetées par Camvert permettraient de réduire le déficit. « Nous n’avions pas envisagée d’échec dans nos projections », confie le PMO Mamoudou Bobbo. En effet, avec l’achat de Scieb qui opérait dans l’UFA 09 025, M. al Fatihi savait que la forêt ainsi exploitée depuis environ 70 ans, s’était dégradée à plus de 70%. Un site idéal pour son projet, dans la mesure où il appartient par ailleurs au’domaine privé de l’Etat et subit très peu l’emprise des populations riveraines. Faire accepter le projet aux populations Une fois à l’épreuve du terrain, la société Camvert a vu se dresser devant elle maints obstacles. Le premier était de faire accepter le projet aux riverains. Un problème de communication donc. « En réalité, l’entreprise a commencé à se déployer sur le terrain sans que les populations aient compris exactement de quoi il était question. D’où nos réticences », se souvient Adolphe II Idjabe, fils de Campo, par ailleurs coordonnateur d’une organisation de la société civile dénommée Women Economie and Sustainable Development (WEC-SD). Il reproche également à l’administration « sa mauvaise habitude de prendre les décisions au niveau stratégique en oubliant la base. » Pour lui, il fallait plutôt partir de la base pour le niveau stratégique. L’opposition venait aussi de l’élite de Campo et Niete. « Nous étions effrayés par l’importance de la superficie accordée à une entreprise. C’était à croire qu’il ne nous resterait plus rien, surtout que le département de l’Océan abrite déjà les plantations d’hévéa d’Hevecam à Niete et les palmeraies de la Socapalm dans l’arrondissement de Lokoundje », explique le maire de Campo, Robert Olivier Ipoua, par ailleurs chef du groupement lyasa. A Niete, la sénatrice suppléante Marthe Sylvie Avebe avait elle aussi dit niet, avant de revenir à de meilleurs sentiments au point de se présenter désormais comme un soutien inconditionnel de Camvert SA. Aux plaintes des populations s’étaient ajoutées les critiques des organisations de la société civile. Elles avançaient divers arguments : destruction de l’environnement, impact négatif sur les animaux du Parc national ,de Campo-Ma’an, privation des populations riveraines des ressources qui lesfont vivre, etc. Naturellement, les premières séances de concertation avec toutes les parties prenantes ont été houleuses. Puis l’idée d’un complexe agro-industriel a été acceptée progressivement. Mais des conditions ont été formulées et Camvert SA a signé un cahier de charges avec chacune des parties : les communautés Mvae-Mabi et lyasa, les peuples Bagyelis, ainsi que les communes de Campo et Niete. Depuis janvier 2020, le projet s’est doté également d’une étude d’impact environnemental et social, assortie d’un Plan de gestion environnementale et sociale (Pges). Pour ce qui est des cahiers de charges, l’entreprise s’est engagée à développer 5 000 ha de palmeraies et d’autres types de plantations au profit des différentes communautés et des deux communes. Il reviendra aux bénéficiaires de fournir les terres qui seront mises en valeur. Il y aura donc des plantations communautaires et communales, sans compter la possibilité offerte aux individus d’être accompagnés dans la création de leurs propres exploitations agricoles. Les plantations seront créées au fur et à mesure que le projet va se déployer. Pour 2020, le processus d’aménagement de 150 ha de plantation chez les Mvae-Mabi et lyasa a déjà commencé. Les procédures sont également ouvertes pour que chaque communauté se dote d’une coopérative en charge de la gestion de sa plantation. Quant aux Bagyelis, ils bénéficieront des vergers et du petit élevage. Les produits forestiers servant à leur alimentation et à la médecine seront préservés. Les cahiers de charges prescrivent aussi à Camvert d’accompagner l’Etat et les communes dans le développement des localités par des infrastructures routières, d’éducation, de santé, de culture et de loisirs. Enfin, il a été retenu que lors des recrutements, la priorité soit réservée aux fils et filles du terroir. Un dispositif est déjà en place pour suivre la mise en oeuvre de ces engagements et de tous les autres contenus dans les cahiers de charges. Un comité de suivi de ces derniers a été créé et compte en son sein un environnementaliste, un forestier cartographe et une socio-économiste. Plusieurs organisations dé la société civile agissant localement se sont constituées en plateforme avec Camvert, afin de l’accompagner dans ses missions sans contrepartie financière. Le défi de ces organisations aujourd’hui est de trouver les moyens pour travailler en toute indépendance. L’une des pistes en examen étant le soutien de l’élite et des communes. Rassurer les investisseurs Malgré les garanties données, des organisations continuent d’affirmer que le projet ne rime pas avec développement durable, et n’a sa. place ni à Campo, ni à Niete, encore moins si près du Parc national de Campo-Ma’an. C’est en tout cas l’avis de l’organisation Green Development Advocates. Son coordonnateur, Aristide Chacgom, plaide pour l’annulation des actes du gouvernement, notamment le décret du Premier ministre qui déclasse 60 000 ha dans l’UFA 09 025 ainsi que la décision du ministre des Domaines qui autorise le lancement des activités de Camvert sur 2 500 ha. Ces critiques arrivent dans un contexte où l’Etat du Cameroun vient d’annuler sa décision de mettre en exploitation la forêt d’Ebo située à cheval sur les régions du Littoral et du Centre. Le gouvernement a aussi suspendu le contrat de bail provisoire avec la société Neo Industry qui souhaitait créer une exploitation cacaoyère sur .33 000 ha dans le département de la Vallée du Ntem. Le manager du projet Camvert regrette pour sa part la publicité faite autour de ces affaires et la politisation qui s’en est suivie. A son avis, il y a de quoi décourager les investisseurs. C’est d’ailleurs ce qui est arrivé, assure-t-il, avec Afriland First Bank qui était l’un des partenaires financiers du projet. M. Bobbo invite les autorités camerounaises à demeurer cohérentes dans leurs décisions afin de protéger l’investissement privé. Il convie leurs détracteurs à faire le suivi afin de s’assurer eux-mêmes que l’entreprise respecte ses engagements. Le directeur général de Camvert SA, Mahmoud Mourtada, quant à lui, dit compter sur le soutien de la population. L’enjeu étant de réaliser un projet exemplaire dans te cadre du développement économique décentralisé et de produire un modèle à dupliquer partout au Cameroun.


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