"Quand la rivière t'arrive déjà aux genoux il faut rebrousser chemin" Essomba

Un vieux proverbe Ekang nous conseille ceci : « quand tu veux traverser une rivière et qu’à quelques mètres du bord, l’eau t’arrive déjà aux genoux, rebrousse prudemment chemin ». Le Gouvernement devrait s’éclairer de cette sagesse, au lieu de poursuivre une fuite en avant qui ne peut conduire le Cameroun nulle part. Il y a deux ans, peu de gens avaient le courage d’affirmer ouvertement que la Sécession Anglophone allait résister pendant des années, une meute de pseudo-patriotes la croyant alors à la portée d’une petite escouade de gendarmes. Ces chauvins bornés plastronnaient, glosant sur la souveraineté de l’Etat qui ne se discute pas, sur la non-ingérence des affaires intérieures qui n’autorisait personne à se mêler des affaires du Cameroun, sur les capacités de frappe de l’Armée nationale à laquelle rien ne résiste et surtout, sur nos alliances politiques formidables à l’étranger. Mais deux ans plus tard, de l’eau a coulé sous le pont. Les choses ont évolué très négativement pour le Gouvernement, exactement comme je l’avais personnellement prévu ! Et maintenant, c’est le Gouvernement qu’on voit aux abois, se battant comme un beau diable pour glaner quelque regard sympathique, au moment où tout le monde le regarde d’n air dur et méchant. Il se bat contre l’univers tout entier ! -il se bat contre les Camerounais modérés qui lui ont demandé d’aller à la fédération ou du moins, à une Régionalisation authentique, avec des Etats Régionaux ; -il se bat contre les partis politiques du Cameroun -il se bat contre les ONG internationales qui font l’opinion mondiale, telles que Human Right Watch, Amnesty International, etc. -il se bat contre l’Union Africaine qui demande un dialogue direct -il se bat contre l’Union Européenne qui a émis des résolutions contre sa malgouvernance, sa violence, l’absence de démocratie et a prescrit la libéralisation des hommes politiques et le dialogue -il se bat contre les Etats-Unis ; Il se bat contre le monde entier ! Et dans ce gigantesque complot cosmique dont il se dit la malheureuse victime innocente, c’est lui seul qui a raison ! Et cette raison, il la crie à tue-tête, justifie ses actions, sans se demander qui veut-il convaincre au juste, puisque personne ne l’écoute ! Ni à l’intérieur du Cameroun, ni à l’extérieur ! Les Grecs anciens disaient : « Jupiter rend fous les gens qu’il veut perdre ! » Et les Africains disaient aussi : « Rien n’enivre autant que la mort » ! L’attitude du Gouvernement est clairement suicidaire et le régime actuel ne peut pas s‘en sortir avec cette logique. Progressivement, méthodiquement, il prépare sa propre chute, alors qu‘il a eu 1000 occasions pour redresser la barre. Cet entêtement de mule, ces certitudes d’avoir raison contre le bon sens, contre la logique, contre les faits, contre les rapports de force réels, cette tendance à opposer des principes aux faits évidents, des procédures à la sociologie, voilà ce qui a conduit le Gouvernement à l’impasse ! Aucune intelligence des situations ! A cours de ma carrière, j’ai parcouru les hameaux isolés du Sud-ouest, dans ce désert végétal parsemés d’impénétrables forêts de bambous de Chine, d’immenses exploitations de palmiers et de bosquets interminables de lianes, le tout entrecoupé des cours d’eau mugissants dévalant furieusement des flancs de montagnes et habités par des crocodiles géants ! Au Nord-Ouest, j’ai vu une constellation de montagnes s’étendant à l’infini, chacune percées de grottes plus obscures que l’enfer et que seuls maîtrisaient les sorciers autochtones ! Quelle incroyable idée de penser un instant qu’une armée venant de Yaoundé, formée pour combattre des ennemis classiques et sans connaissance du terrain pouvait débusquer en un clin d’œil une guérilla armée et réfugiée dans ces sinistres forêts de mangroves et ces lugubres montagnes caverneuses ? Mais surtout, quelle insondable folie d’avoir cru un seul instant que le problème anglophone n’allait pas s’internationaliser ? D’abord que nous sommes en 2019 où la vieille notion de « non-ingérence » a été considérablement relativisée par le droit d‘ingérence humanitaire. Mais plus fondamentalement, les Anglophones s’étaient associés aux Francophones sous l’égide des Nations-Unies et sur un modèle d’un Etat fédéral à 2! On ne voit pas très bien comment la Communauté Internationale pouvait rester indifférente quand un tel attelage se traduit par une guerre civile ! Elle en portait directement la responsabilité ! Tant que la paix régnait avec les évolutions internes, les étrangers n’avaient rien à dire ! C’est comme dans un mariage ou une famille ! Tant que vous fonctionnez normalement, sans cri, personne n’a le droit de se mêler de vos affaires ! Mais à partir du moment où l’attelage ne marche plus et conduit à la guerre, les étrangers vont intervenir et vous n’y pouvez rien ! Et quand ils viennent, ils ne se préoccupent plus des conventions intimes que vous signiez à l’abri de leurs yeux : ils s’en tiennent à ce qui est officiel, autrement dit, à ce qu’ils ont vu et ce que dit la loi. C’est exactement le cas anglophone ! Nous pouvions organiser des référendums pour supprimer la Fédération, cela n’engage que nous ! Dès lors qu’un tel référendum conduit à la guerre, il n’est plus valable ! Seuls sont valables les engagements initiaux entérinés par la Communauté Internationale et les lois internationales. C‘est dire que par son entêtement, le Gouvernement a oblitéré toutes les évolutions que le Cameroun a réalisées depuis la Réunification en 1961. Or, la bonne solution pour le Gouvernement était le raisonnement suivant : « Le Cameroun, par sa diversité, a une vocation fédérale. Mais la fédération initiale était défectueuse parce qu’elle était fondée sur des référents étrangers. Comme nous avons évolué dans l’Etat unitaire, nous pouvons désormais construire une Fédération plus adaptée à notre environnement actuel, en érigeant nos 10 régions en 10 Etats Fédérés, avec évidemment des possibilités d’évolution ultérieure, puisque par vocation, une Fédération est une entité vivante ». Voilà le seul discours raisonnable qu’aurait dû tenir un Gouvernement lucide ! En effet, la Fédéralisation en 10 régions résolvait immédiatement le problème anglophone, en le noyant dans d’autres spécificités. Du reste, elle résolvait l’une des plaies de notre pays, à savoir la concentration totalement irrationnelle du pouvoir à Yaoundé et la messianisation des dirigeants! Mais le nôtre s’est arc-bouté dans ses certitudes, préférant lutter contre le monde entier. Et son entêtement a fait du problème anglophone un abcès de fixation qui va désormais définir les évolutions futures du Cameroun ! Car, qu’on le veuille ou non, le problème anglophone ne peut plus se résoudre désormais qu’avec les ingérences étrangères. C’est cela que voulaient les extrémistes anglophones, et c’est cela que leur a offert un Gouvernement peu inspiré ! Dans ces conditions, les appels actuels aux Camerounais pour résoudre leurs problèmes entre eux peuvent encore servir à rien quoi ? A rien ! Tout cela état possible avant la terrible phrase : « la forme de l’Etat n’est pas négociable » ! C’est cette phrase qui a tué le mouvement fédéraliste et ouvert le boulevard à la Sécession armée. Avec pour conséquence l’internationalisation du problème. Maintenant, les jeux sont faits ! La Sécession ne désarmera pas, car les Sécessions ne désarment jamais ! On les affaiblit en leur enlevant leur attractivité et leur suscitant un ennemi intérieur sous la forme d’un Etat local. C’est cette solution qui, seule présente une efficacité contre les Sécessions. Mais si le Gouvernement ne change pas de discours et d’approche, s’il persiste dans son choix de la guerre, c’est l’inverse qui va se produire : la Sécession ne s’affaiblira pas et finira par détruire le régime de Biya et l’Etat du Cameroun. La seule attitude rationnelle qui reste au Gouvernement est de proclamer immédiatement cette Fédération à 10 Etats qui, par chance, a encore de grands partisans chez les Anglophones, et ceci, avant toute négociation ! Il faut le faire maintenant, au lieu d’attendre que la situation ne se dégrade davantage ! Parce que si cela n’est pas fait à temps, la bipolarisation Anglophone/Francophone va régir les débats et le résultat sera une Confédération de deux Etats en bonne et due forme ! Dieudonné ESSOMBA


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