Alternance au sommet de l'état : certitude et incertitude d'une transition attendue
Ail crépuscule d’une gouvernance à huit clos, il ne se passe plus un jour au Cameroun sans qu’on évoque la question de l’alternance à la tête de l’Etat. Le Cameroun se présente comme un Etat démocratique. Et dans un, tel Etat, selon les principes basiques, le changement politique s’opère dans un cadre légal et institutionnel en l’occurrence par la voie électorale tel que tracée par les dispositifs en vigueur. En cette fin de règne du Président Paul Biya, l’alternance systémique, ou du moins politique, est la chose la plus attendue au Cameroun et même au-delà des frontières nationales. Mais, cette attente vient s’immerger dans un gisement de frustrations multidimensionnelles dont une moindre inattention peut entrainer un changement de l’ordre dans le désordre. C’est en envisageant une possibilité d’éviter un scénario noir que l’on se questionne sur la voie qu’empruntera le futur locataire du palais de l’unité. Ce questionnement est légitime au regard de la trajectoire historique du Cameroun, de la configuration politico-institutionnelle actuelle et des enjeux de pouvoir qui en découlent. Un régime démocratique dans son essence est gage d’une alternance politique et/ ou systémique en toute quiétude. Mais, en contexte camerounais, cette alternance annopcée et attendue se pose plutôt en termes d’inquiétude, laquelle gagne chaque jour en intensité. Bien que l’alternance soit rentrée aujourd’hui dans l’ordre de la certitude, la voie à emprunter demeure dans l’ordre de l’incertitude. Au regard de l’armature normative et institutionnelle, l’alternance est certaine au Cameroun. Mais dans l’ordre de la respectabilité de cette armature, elle est incertaine. Cet élément du paradoxe camerounais trouve son fondement dans la nature biface du régime du renouveau. Le caractère légaliste du président Le régime du renouveau est la suite logique de l’alternance inaugurale postcoloniale qui eut lieu en novembre 1982. A la faveur d’une succession constitutionnelle, le Président Paul Biya remplaçait le Président Ahmadou Ahidjo à la tête de l’Etat du Cameroun. Après un règne extrêmement long, le président actuel est dans un silence qui le caractérise, peut-être préoccupé par le choix des nouvelles autorités en devenir. Il a d’ailleurs lui-même, dans l’un de ses rares discours publics, parlé de transition générationnelle. Dans l’esprit du Président, le problème ne se poserait pas tant, car légaliste de son état du moins tel que présenté par ses disciples politiques, ses « créatures » et ses admirateurs il a su mettre en place des institutions qui sont chargées de veiller à l’enracinement de la Démocratie notamment dans son volet « alternance démocratique ». Dans ce pays en effet, l’article 6 de la Constitution et ses 6 alinéas fixent clairement les modalités de succession ou d’alternance au sommet de l’Etat. Cette disposition constitutionnelle est pertinente tant pour l’organisation régulière d’une élection présidentielle qu’en cas d’empêchement de toute nature du Président de la République en fonction. Cette pertinence est d’autant plus avérée que la disposition évoquée fixe les institutions devant assurer une éventuelle alternance. Le Conseil constitutionnel, le Sénat et Election’s Cameroon sont les plus référés dans l’ordre constitutionnel. Et par la puissance de la gouvernance progressive, toutes ces institutions ont été mises en place. En plus de cela, il faut noter l’existence d’une loi électorale contestée. Ce cadre juridico-institutionnel ainsi que la maturité affirmée du peuple camerounais sont présentés par les tenants du pouvoir comme prémisses d’une alternance démocratique. Pour ces tenants du pouvoir, le cadre indiqué est un lieu d’expression de la souveraineté du peuple. Mais, dans un contexte de confiscation politique, de frustration des masses, et de volonté plus ou moins sincère des dirigeants actuels, une grande inquiétude hypothèque l’avenir du Cameroun. Et si le droit démocratique n’est pas respecté ? Cette inquiétude est autant plus justifiée qu’à l’observation, les autorités politiques actuelles font montre d’une volonté d’instauration d’un système de reproduction sociale. Et à l’orée de l’alternance annoncée, l’on observe comment certains leviers s’activent en vue d’un changement aux antipodes de la Démocratie. La montée en puissance de ces leviers est encore plus inquiétante quand on sait-que le peuple est régulièrement réprimé quand il exprime ses frustrations au Cameroun. En effet, avec le système de répression de toute volonté contestataire, les couleurs de l’alternance s’annoncent en rouge au cas où, face à un refus de respecter les canons de la Démocratie, le peuple décide de contester l’autorité. L’expérience africaine en matière d’alternance à la tête des Etats ces dernières années, montre que le non-respect de l’ordre démocratique déclenche une colère populaire généralement brimée. Et le cas du Cameroun est très préoccupant, ce d’autant plus que le régime du renouveau n’a jamais, de toute son histoire, toléré ce qu’il appellerait lui-même des « mouvements d’indiscipline ». De 1990 à 2018, la quasi-totalité des mouvements de contestation ont été tout simplement étouffé voire écrasé par la force. Le régime brille dans ce contexte par sa capacité à mobiliser rapidement les ressources de la puissance publique pour répondre négativement au cri du peuple. L’on a vu comment en 2008, le peuple fut malmené lorsqu’il osa arracher la parole pour s’opposer publiquement à la modification de la Constitution. L’initiative fut correctement matée comme ce fut le cas dans les années dites de braise. Cette intolérance de toute initiative contestataire de l’ordre régnant a également été observée au lendemain de la dernière élection présidentielle. Après la publication du résultat de l’élection présidentielle de 2018, le deuxième à cette élection, M. Kamto, avait organisé des marches dites « blanches » pour réclamer la fin.’ de la guerre en zone anglophone, la réforme consensuelle du système électoral ainsi que d’autres exigences sur la gouvernance. Mais, à chaque fois, des manifestants furent violentés, arrêtés et jetés dans les différentes prisons du pays.