Paul Biya, meilleur allié africain d’Israël ?

Paul Biya, meilleur allié africain d’Israël ? – Jeune Afrique

Paul Biya, meilleur allié africain d’Israël ?

Contrairement à nombre de pays africains, le Cameroun a exprimé un soutien sans équivoque à Israël depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre. Le symbole d’une relation spéciale, favorisée par Paul Biya dès 1984.

Par Franck Foute (Jeune Afrique)

Publié le 26 octobre 2023

Quarante-huit heures après l’attaque que le Hamas a déclenché contre Israël dans la journée du 7 octobre dernier, le président camerounais, Paul Biya, a adressé ses « sincères condoléances » à Israël, victime de « l’armée du groupe islamiste palestinien Hamas ». « J’ai pris connaissance avec un réel émoi de l’effroyable bilan humain causé » par cette attaque, a indiqué Paul Biya dans un courrier adressé le 9 octobre à son homologue, Isaac Herzog.

Dans sa communication, le président camerounais n’a fait aucun cas des quelque 560 décès et 2 900 blessés qui avaient déjà été enregistrés à cette date côté palestinien à la suite de la riposte israélienne sur la bande de Gaza, puisqu’il transmet ses vœux de « prompt rétablissement aux blessés », en sus de « [ses] souhaits de libération de tous [les] citoyens pris en otage », à la seule partie israélienne. Une position à rebours de celle de l’Union africaine.

Celle-ci a en effet attribué la cause de la reprise des hostilités au Proche-Orient à la « dénégation des droits fondamentaux du peuple palestinien, notamment celui d’un État indépendant ». Le Cameroun a également ramé à contre-courant de la position médiane adoptée par la grande majorité des pays africains qui se sont exprimés sur le sujet, lesquels ont prudemment appelé à une désescalade.

Suite logique

« C’est la suite logique des relations qui lient les deux pays », croit savoir un universitaire ayant requis l’anonymat. L’approche du Cameroun se situe en effet dans la lignée d’une coopération historique dans les secteurs sécuritaire et diplomatique, qui s’est développée peu de temps après l’arrivée au pouvoir de Paul Biya, dans un contexte particulier.

Deux ans après sa prise de fonction en 1982, le nouveau président camerounais est en effet victime d’une tentative de coup d’État perpétrée par des éléments de la garde républicaine qui devaient en théorie assurer sa sécurité. Malgré l’échec du coup de force, le président constate la faiblesse des services censés le protéger. Il opère en conséquence une profonde réorganisation de son dispositif sécuritaire.

Sont mis à l’écart de la nouvelle stratégie des cadres militaires originaires du nord du pays – comme son prédécesseur, Ahmadou Ahidjo, soupçonné d’être derrière la tentative de putsch –, mais aussi la France, laquelle assurait jusque-là la formation de la garde républicaine. Paul Biya, conscient de la menace sécuritaire qui pèse alors sur les institutions du pays, se tourne donc vers les Israéliens et amorce une reprise des relations diplomatiques avec Tel-Aviv, rompues depuis la guerre du Kippour, en 1973.

Au même moment, Israël continue d’asseoir sa notoriété dans le domaine militaire et séduit de nombreux gouvernement africains. L’un des exemples de coopération sur ce plan est le Zaïre (aujourd’hui RDC), un pays que Paul Biya visite en 1985. Ce voyage lui permet de toucher du doigt le dispositif mis en place par les Israéliens, que Meir Meyuhas, un Juif égyptien, ancien colonel de l’armée israélienne et propriétaire d’une usine pharmaceutique au Zaïre, essaie depuis 1984 de reproduire à Yaoundé.

Le président camerounais Paul Biya pilote lui même le dossier israélien depuis son bureau au palais d’Etoudi. A ses cotés, un cercle restreint de fidèles dont son chef d’Etat major particulier, Benae Mpecke, qui effectuera plusieurs voyages à Tel Aviv. Le ministre des affaires étrangères de l’époque, William Eteki Mboumoua, cité par Narcisse Mouelle Kombi dans son ouvrage « La politique étrangère du Cameroun », dira d’ailleurs n’avoir jamais été informé de la reprise des relations avec Israël. « Les gens m’appelaient de partout pour avoir des informations que je n’avais pas », confiait- il.

Meyuhas et Sivan, les pionniers

En 1985, Meir Meyuhas est à la base de la création de la garde présidentielle, née de la dissolution de la garde républicaine. La formation de cette nouvelle unité est confiée à des instructeurs israéliens, parmi lesquels l’attaché de défense de la toute nouvelle représentation diplomatique israélienne au Cameroun, Avi Abraham Sivan. La coopération sécuritaire avec l’État hébreu s’étend : fourniture de matériel militaire à l’armée, formation de cadres en Israël, et, en 1995, installation d’un système de transmissions baptisé Helios, fruit de la coopération avec le Mossad, le service de renseignements israéliens.

Mais, en 1999, Israël met un terme à cet élan, en raison des difficultés économiques qu’il rencontre. Cette date marque aussi la fin de la présence des attachés de défense israéliens à Yaoundé. Cependant, la relation se poursuit : elle devient l’apanage des experts, à qui le Cameroun propose de continuer à travailler à Yaoundé en leur faisant signer un contrat privé. Parmi les bénéficiaires de ce système : celui qui était jusque-là attaché de défense auprès de l’ambassade, le colonel Avi Abraham Sivan.

Ce dernier hérite d’un contrat d’assistance technique, lequel le place à la tête du recrutement puis de la formation d’un commando de 3 000 soldats, futurs membres du Bataillon léger d’intervention (BLI, devenu en 2001 Bataillon d’intervention rapide, BIR). Avi Abraham Sivan héritera ensuite du commandement du BIR, une véritable armée dans l’armée, devenu la garde prétorienne du président Biya. Une position qui a fait de l’ancien colonel un maillon clé du dispositif sécuritaire du pays, jusqu’à sa mort en 2010.

Une relation diplomatique (presque) sans faille

Parallèlement à cette coopération militaire, le Cameroun est devenu un allié diplomatique d’Israël. En Afrique, le pays est le seul – avec l’Érythrée – à ne pas avoir reconnu l’existence d’un État palestinien. En 1986, Paul Biya s’était même permis d’accueillir à Yaoundé le Premier ministre israélien de l’époque, Shimon Peres, et ce malgré les pressions et critiques de certains pays et organisations africaines ou arabes. La première visite d’un PM israélien en Afrique noire en 20 ans de relation. Un an plus tard, le Cameroun ouvrait une ambassade à Tel-Aviv, et Paul Biya y nommait un de ses intimes comme premier ambassadeur : Philippe Mataga.

« Le Cameroun a généralement une position de neutralité positive lors des rencontres internationales, explique l’universitaire précédemment cité. C’est une forme de soutien politique qui se caractérise par des votes positifs ou des abstentions ». Il en fut ainsi en avril 1987, lorsque le Cameroun a refusé de voter une résolution de l’Organisation de l’unité africaine condamnant l’oppression exercée par Israël dans les territoires occupés. Idem en 1991, lorsque le Cameroun a voté pour une résolution déclarant nulle une résolution de l’ONU de 1975 assimilant le sionisme au racisme. Mais Paul Biya est conscient que l’opinion de son pays, qui comprend une importante communauté de musulmans dans sa partie nord, n’est pas toujours favorable à Israël. A la suite de sa lettre au président israélien, de nombreux camerounais n’ont pas manqué de dénoncer sur les réseaux sociaux, l’absence d’empathie vis à vis des civils palestiniens.

Le président se trouve donc sur une ligne de crête. Il ne s’est jamais rendu en visite officielle dans ce pays en dépit de multiples invitations (OUA), et Yaoundé ne reconnaît pas Jérusalem comme capitale de l’État hébreu. Le Cameroun a-t-il tracé une ligne rouge, malgré les liens dont il profite depuis quatre décennies ? Le pays avait toutefois déjà su voter à 134 reprises contre Israël sur la scène internationale en 1986 et 1987, à l’aube de la première Intifada, sans que cela vienne porter un coup à la relation spéciale alors naissante entre les deux pays.

Source : JEUNEAFRIQUE.COM


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