Quatre mois ! Il n’a suffi que de quatre mois, après la mise en circulation, le 15 décembre 2022, des nouveaux insignes monétaires par la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC), pour que de faux billets fassent leur apparition, dès avril, dans les transactions. D’abord timidement, profitant de la confusion générée par la nouveauté, puis de plus en plus fréquemment. Et ce, malgré toutes les garanties de sécurité que la banque centrale avait présentées. On parle de pas moins d’une soixantaine de signes de sécurité pour détecter le faux du vrai. Mais rendu à ce mois de mai 2023, soit cinq mois seulement après la mise en circulation de la gamme dite 2020 des billets de 500, 1000, 2000, 5000 et 10 000 F par la banque émettrice de la sous-région Afrique centrale, les agents économiques décrient et déplorent déjà une présence massive et inquiétante de fausses coupures. Des tenanciers de petits et grands commerces se plaignent quasiment au quotidien de se retrouver avec des billets très ressemblants à ceux émis par la BEAC.
Le phénomène prend de l’ampleur à travers le pays. Le 24 avril dernier, c’est le sous-préfet de Pitoa, localité située dans le département de la Bénoué, région du Nord, qui sonnait l’alerte. Dans un communiqué, Joseph Densou annonçait aux populations de son unité administrative qu’un vaste réseau de faux billets venait d’être démantelé. Sans préciser le montant exact mis en circulation par ces faussaires, l’autorité administrative a tout de même indiqué qu’il s’agissait des coupures de 10.000 F (série no 01776324B5) et de 5000 F (série no02059119A1). Ces billets, soulignait le sous-préfet, étaient en circulation dans les marchés. Quelques jours plus tard, une vidéo a fait le tour des réseaux sociaux, présentant deux jeunes gens pris dans les mailles des forces de l’ordre alors qu’ils tentaient d’écouler neuf millions de F en fausses coupures dans un centre commercial de la ville de Douala. Deux situations qui corroborent les dires d’un banquier selon lesquels les commerçants seraient les agents économiques les plus exposés à ces faux billets. Au point où certains refusent déjà d’effectuer des transactions avec les nouveaux billets.
Dans les banques commerciales, le personnel est obligé de redoubler de vigilance, tellement les faux billets sont proches des vrais. Certains responsables affirment d’ailleurs qu’avec les stylos lampes ils ont du mal à faire la différence, parce que les éléments de sécurité que cet instrument permet de détecter auraient été imités à la perfection. Les compteuses sont alors là pour rattraper le coup, pour celles des banques qui en possèdent. Sinon, les caissières formées à la reconnaissance des signes de sécurité sont obligées d’y aller manuellement et sans gants, pour vérifier au toucher, en comptant les sommes à déposer par les clients, que tout est ok. C’est ainsi que chaque jour, des billets douteux sont retirés du circuit et perforés, pour éviter qu’ils soient réutilisés. Ce qui crée immédiatement des pertes.
En effet, les spécialistes du secteur parlent de l’effet volume. Pour les neuf millions de F en fausse monnaie saisis à Douala par exemple, les pertes pour l’économie nationale sont du même montant et si on le réplique pour l’ensemble des six pays de la Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale (CEMAC), l’ardoise s’alourdit très vite. Il faut donc stopper la saignée au plus vite. Et pour le faire, trouver réponses à une foultitude de questionnements est indispensable. D’où viennent ces faux billets aussi vite? Comment aurait-on réussi à les fabriquer si proches des vrais qu’ils échappent à certains détecteurs ? Les entités ayant choisi ces modèles ont-elles pris toutes les précautions nécessaires pour que le secret soit bien gardé ? Ceux chargés de la production de ces insignes monétaires ont-ils garanti la discrétion de mise ? Pourquoi en Afrique centrale, la monnaie fiduciaire (argent physique) prime-t-elle encore sur la monnaie scripturale ? La vulgarisation des cartes bancaires et des autres types de paiement électronique dans le cadre de l’inclusion financière mettrait sans aucun doute ces faussaires au chômage et limiterait la casse pour nos économies encore fragiles. Des réponses à ces questions contribueraient également à rassurer les agents économiques
En attendant, il est toujours bon de savoir que les cinq nouveaux billets ont en commun sept signes de sécurité. Notamment, le filigrane. En regardant le billet par transparence, on voit apparaître les lettres BEAC et trois têtes d’antilopes appelées « Elans de Derby » qui constituent le logo officiel de la Banque centrale. L’image d’un masque est également visible. Les deux motifs incomplets imprimés sur chaque face du billet se superposent pour former une image complète. De même, pour la première fois, sur chaque coupure, est imprimé un motif en relief à l’usage des malvoyants et aveugles. Les petites coupures (500, 1000 et 2000 F) ont également leurs signes de sécurité. Elles sont dotées d’une sécurité supplémentaire disposée au verso. Il s’agit d’une bande nacrée. En inclinant légèrement le billet, on observe la brillance d’une encre spéciale, jaune ou grise, selon l’inclinaison du billet. Les grosses coupures quant à elles (5000 et 10.000 F), comportent deux sécurités renforcées. Une bande holographique métallisée discontinue au recto de sorte qu’en inclinant le billet, on distingue alternativement un masque, des formes géométriques et les lettres Cemac. Au verso, est imprimé un motif à couleurs changeantes. Ici aussi, lorsqu’on incline le billet, le jeton du jeu d’Abbia change de couleur pour passer de l’or au vert.
La formation de masse pour reconnaître, mais aussi faire accepter ces nouveaux billets doit donc être considérée comme un impératif. Il serait en effet très inutile de voir des équipes de la banque centrale, de banques commerciales et autre établissements de microfinance sillonner les marchés par exemple pour apprendre à la population en contact quotidien avec le cash, comment distinguer le vrai du faux, et surtout donner l’alerte.
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