Sénatoriales 2023 : vers l'erternalisation du parti au pouvoir au pouvoir ?

Les élections sénatoriales se sont déroulées dimanche sur l’ensemble dans les dix régions du Cameroun.

Les grands électeurs camerounais étaient aux urnes dimanche dernier pour renouveler le Sénat, Chambre Haute du parlement camerounais. Si ce scrutin s’est déroulé sans incident majeur ne pouvant remettre en cause son intégrité et sa transparence selon le ministère de l’Administration territoriale, les premières tendances sorties des urnes annoncent déjà une victoire sans appel pour le parti au pouvoir.

Dans la déclaration ci-dessous, Serge Aimé Bikoi livre son analyse de la domination du jeu politique camerounais par le parti le RDPC de Paul Biya, qui gouverne le Cameroun depuis quatre décennies.

Sénatoriales 2023/ Vers l’éternisation du parti au pouvoir au pouvoir?

En attendant que le conseil constitutionnel proclame, officiellement, les résultats de l’élection des sénateurs dans un délai maximum de quinze jours à compter de la date de clôture du scrutin, les résultats du dépouillement et le recensement des votes fait à la fin du processus électoral nous permettent, aujourd’hui, d’avoir une vue holistique des proportions obtenues par chaque formation politique en lice.

En effet, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) vient de remporter les sièges de 70 sénateurs. Dans l’émission spéciale consacrée, hier(dimanche, 12 mars 2023), au listing et à la comptabilisation des votes des reporters sur le terrain sur l’antenne de la Radio tiemeni siantou (Rts), émission diffusée de 18 à 21h et présentée par Eric Boniface Tchouakeu, journaliste et chef de chaîne, les résultats des élections sénatoriales rendus publics après le dépouillement ont été, abondamment, commentés par des personnalités publiques et politiques. Se sont, naturellement, livrés au jeu des premiers commentaires en direct de la chaîne des majors :

Issa Tchiroma Bakary, leader national du Front pour le salut national du Cameroun (Fsnc); Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc); Cabral Libii Li Ngue Ngue, président national du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (Pcrn); Maidadi Saidou Yaya, secrétaire national à la communication de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp); Koupit Adamou, député Udc du Noun et porte-voix du parti, Me Djorwe, président national du Mdr, etc.

Toutes ces figures politiques ont reconnu manifestement la victoire du parti au pouvoir à l’issue de cette échéance électorale. Même l’Undp, qui, a priori, partait favori avec la détention d’un bastion électoral dit traditionnel tel que celui de la région de l’Adamoua avec un conseil régional, a, a posteriori, mordu la poussière devant le Rdpc. La région de l’Adamoua était, d’ailleurs, le seul espoir du parti de Bello Bouba Maigari bien qu’ayant concouru dans trois autres régions (l’Est, l’Extrême-Nord et le Nord), mais en vain!

Naturellement, dans les neuf autres régions, il n’y avait pas match tant le parti ultra dominant disposait d’une majorité statistique très élevée des conseillers municipaux et des conseillers régionaux et, par corollaire, cette formation politique était bien positionnée pour triompher des neuf autres partis politiques en compétition.

A la lumière de la comptabilisation des votes des dix régions camerounaises des élections sénatoriales du 12 mars 2023, la chambre haute du parlement camerounais sera, pour la prochaine mandature, monocolore. Même les trente sénateurs que le président national du Rdpc va nommer dans les prochaines semaines ne pourront guère revêtir entièrement les couleurs des formations politiques de l’opposition camerounaise. Il faut rêver pour y penser ou, du moins, pour en élaborer une conjecture dans ce sens. Sans conteste Paul Biya va nommer, c’est d’ailleurs un rituel, bien d’acteurs politiques, dont les formations sont alliées au parti au pouvoir.

Par conséquent, comme lors des deux premières cuvées (2013-2018) et (2018-2023) des sénateurs, l’hegemon central va procéder à la cooptation des membres des partis alliés tels que l’Undp, le Mdr, l’Andp, le Fsnc et l’Upc. Vu l’option collaborationniste entretenue, ces derniers temps, entre le Social democratic front (Sdf) et le Rdpc, il est fort possible qu’un ou deux cadres du parti de la balance bénéficie(nt) d’un décret présidentiel. L’enjeu étant d’officialiser, pour ainsi dire, les pratiques et logiques de connivence et d’allégeance du Sdf à l’endroit du parti du flambeau ardent et, par extension, à l’endroit du système gouvernant et régnant en place.

Concernant les partis politiques alliés, il ne sera donc pas surprenant de voir le maintien de Pierre Flambeau Ngayap comme sénateur Undp du Littoral ou Marlyse Aboui comme sénateur Andp de l’Est. Dakole Daissala, ex-leader national du Mouvement pour la défense de la République (Mdr), ancien sénateur Mdr de l’Extrême-Nord, décédé en 2022, va être, à coup sûr, remplacé par Me Djorwe, qui est, aujourd’hui, le chef de file de cette formation politique.

Aussi est-il possible que le sénateur Upc du Sud-Ouest proche de Robert Bapooh Lipot, ancien député Upc du Nyong et Kellé, soit éjecté pour être remplacé par un autre membre du parti historique aujourd’hui flagellé et écartelé par des sempiternelles divisions internes et des querelles fratricides. Sur ces entrefaites, c’est la faction qui entretient, actuellement, la connivence, l’allégeance et le collaborationnisme avec le régime en place qui pourra voir un des siens coopté parmi les trente sénateurs.

Le kaléidoscope de la chambre haute du parlement camerounais va donc être qùasiment monocolore avec la prépondérance d’au moins 90% des sénateurs affiliés au Rdpc, les dix autres étant des membres des partis politiques alliés et des acteurs cooptés dans d’autres organisations consolidant l’interaction, la sociabilisation et la collusion avec le pouvoir de Yaoundé. A partir de cet instant, vu la boulimie du parti au pouvoir, qui ne veut voir aucun opposant résistant, dissident et réactant à la chambre haute du parlement, le président national du Rdpc entrevoit, d’ores et déjà, la construction de la succession gré à gréïste à la tête de l’État du Cameroun.

Tel que les les jeux sont pipés, tel que les cartes sont redessinées au plan politique à l’aune de la massification des membres du parti au pouvoir au sénat, la lame de fond qui en ressort est que même si le vieux lion succombe, son substitut viendra de sa classe politique au sein de la chambre haute et contribuera à la reproduction, voire à la pérennisation des mêmes logiques, des mêmes pratiques et des mêmes manières d’agir, de penser, de sentir et de faire en matière de gouvernance politique.

En réalité, si les tenants des courants idéologiques de l’opposition camerounaise s’enlisent dans une somnolence, dans une torpeur, voire dans une ankylose, l’on s’acheminera, inexorablement, vers l’éternisation du parti au pouvoir au pouvoir. Avec l’activation, de manière brumeuse et voilée, de la parentocratie à travers la probable cooptation du fils à papa, il n’est pas aussi exclu que cette éventualité soit mise en vitrine le moment venu si l’on n’y prend garde.

Avec la tenue de ces élections sénatoriales, dont les résultats sont largement et entièrement acquis par le Rdpc, avec le jeu du maintien de la chambre essentiellement constituée des gérontocrates et des fatigués, avec l’envisagement de la transition gré à gréïste à la tête de l’État du Cameroun, force est de constater qu’il n’existe ni une démocratie avancée, ni une démocratie apaisée, ni une démocratie emballée, mais nous assistons plutôt, 33 ans après, au chaos du processus de démocratisation.

Serge Aimé Bikoi


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